7 h 30. Je me réveille doucement dans le silence, tous les moteurs sont coupés et une petite fraiche commence à envahir la cabine. Dehors, j’aperçois une cour de terre que je reconnais vaguement. J’y ai certainement déjà mis les roues au moins une fois depuis 7 ans. En levant les yeux, j’aperçois le sigle KENWORTH, le même que sur Fuego, qui se découpe en rouge dans le ciel terne. Sur l’enregistreur numérique qui nous sert de journal de bord, Richard m’a laissé son diagnostic détaillé, à la suite de son inspection sous le capot. Ce n’est pas bien grave : une fuite de liquide de refroidissement s’est frayé un chemin dans l’ouverture provoquée par le frottement du tuyau de caoutchouc sur une pièce en mouvement. La fumée, c’était le liquide qui s’évaporait sur les pièces chaudes du moteur. Richard s’est rendu au concessionnaire le plus près, sauf qu’à 3 heures du matin, le garage n’était pas encore ouvert, alors il a dû arrêter toutes les machines jusqu’au matin. Encore chanceux que nous ne soyons pas dimanche!
Le problème m’incombe maintenant, je revêts la casquette de capitaine, Richard a pris ma place dans la couchette, complètement saisi par le sommeil.
L’hémorragie doit être contenue avant que Fuego se vide de son liquide, il ne pourrait pas en mourir, parce qu’il est muni de systèmes de protection pour sa survie : dès que le niveau de son liquide refroidissant est trop bas, il s’arrête tout bêtement où qu’il se trouve et devient un corps-mort évanoui, comme un courreur déshydraté. Là, il suffit d’ajouter du liquide refroidissant, une sorte de Gatorade vert ou rose pour camion, (qu’il faut avoir pris soin de prendre à son bord avant le départ, avis aux nouveaux chauffeurs!) pour se rendre au garage. Dans le pire des cas, de l’eau, ou du Pepsi pourrait faire l’affaire, mais comme cela pourrait provoquer une corrosion prématurée des organes internes, une maladie que j’appellerai — le cancer par omission de Prestone —, ce n’est pas recommandé, pas plus que de manger du gras trans.
Je dois faire soigner Fuego vite fait bien fait avant de reprendre le chemin. Je note toutes les informations du camion, je sais par expérience qu’on aura besoin de tout son pedigree avant de le soigner : son numéro d’assurance sociale, en l’occurrence, son numéro de série — pour s’assurer que ce ne soit pas un immigrant illégal et sans-papier ou un terroriste recherché —, son vécu en kilomètres — en cas de vieillesse de plus de 160 000 kilomètres, il n’est plus assuré pour toutes les maladies et il faut payer très cher, ça coute cher être vieux —, le nom et les coordonnées de ses parents — la compagnie qui en prend soin —.
Dans la grande salle sans fenêtre éclairée aux néons, l’atmosphère est sinistre, même le gris du ciel est joyeux, comparé au brun crasseux du garage. Je ne sais pas comment ils font pour garder le moral dans cet environnement, à leur place, j’aurais demandé depuis longtemps une enveloppe pour me suicider. (Ça coupe une enveloppe!). Je repère le bureau du service. Le conseiller technique me dit où stationner (je salue ma cousine au passage, elle est mécanicienne et conseillère technique chez Toyota!). Je déleste Fuego de sa remorque et je roule doucement entre les saillies de terre pour ne pas réveiller mon partenaire.
Chez Kenworth, Fuego est considéré comme un membre de la famille. On l’accueille comme si on le connaissait, une seule baie est libre comme si on l’attendait. Petite tape sur le capot, — comment ça va Fuego? C’est le plus beau de la salle, le plus jeune aussi. Des membres de la famille beaucoup plus âgés se font tripatouiller les entrailles. Il y en a même qui subissent des opérations à moteur ouvert, les organes pendouillants sur des tables de travail, d’autres qui sont branchés sur des machines, un qui tousse étrangement, un autre qui a les poumons tout noirs. La salle d’urgence n’est pas des plus hygiénique et j’ai peur que Fuego choppe une autre maladie dans cette chambre au manque d’hygiène flagrant. Le docteur est moustachu (à part en ex-URSS, avez-vous déjà vu des docteurs moustachus?). Il lui refait des tests pour rendre compte au chef de son diagnostic. Le même que Richard. Fuego n’a que 100 500 kilomètres au compteur et j’en déduis qu’il est toujours couvert par la garantie. Mais comme aux États-Unis les camions sont garantis 100 000 miles, il a fallu que je m’obstine avec le conseiller pour qu’il comprenne que 100 500 km, ça fait seulement 62 450 miles. Il est revenu me dire que j’avais raison. J’ai toujours raison. (Richard n’a pas lu ça encore…)
Le docteur moustachu m’offre deux soins : le plus vite consiste à couper le tuyau « atteint d’un trou » et en greffer un autre sans trou, au moyen de « deux joints d’étanchéités très étanches » me dit-il. Durée de l’opération : 30 minutes. « -It may last for ever » prend-il le soin de me préciser en s’essuyant les mains sur un torchon bleu marin. L’autre soin, moins palliatif, plus drastique, mais plus définitif, consiste à retirer toute la veine de Fuego et de lui en poser une toute neuve, une opération de « -at least 3 hours » insiste-t-il.
Je lis entre les lignes que plus on tripote, plus on risque d’aggraver le cas et de briser d’autres organes. Je suis Capitaine, et j’opte pour le premier soin, comme si j’étais une gestionnaire d’hôpital du Québec, beau, bon, pas cher, — ce qui compte, c’est la vie, pas la santé! (c’est de l’ironie au cas ou ça ne passe pas bien à l’écrit…). Rabouter, c’est bien plus vite. Il n’est pas question que nous perdions notre temps ici, même si c’est garanti, et puisque « les joints d’étanchéité sont étanches », je ne vois pas pourquoi ça fuirait! Le moustachu m’a dit que ça pourrait durer «pour toujours». Il y avait bien « for ever » dans sa phrase, c’est ce qui compte! On accroche sur ce qui nous sied. Le processus de décision est aussi influencé par le fait qu’arrêté, ça ne roule pas, et que quand ça ne roule pas, ça ne paye pas, aussi simple que ça. Vous comprenez la logique « camionnesque » maintenant. On appelle ça de la productivité lucide.
Le temps que je fasse quelques papiers, une petite sieste et tout était prêt, même pas besoin de signer un formulaire. En mécanique, un problème visible, est un problème facile à régler, parlez-en à mon oncle, il est prof de mécanique. (Oncle R.D. va-t-il se manifester pour un diagnostic? Ou bien me contrarier sur ma décision? )
À 9h00, j’ai raccroché le chargement et remis Fuego sur les rails. Il se porte bien, il n’a que deux petits joints de plus qu’avant. Depuis cette aventures, Fuego a roulé 4950 kilomètres sans hémoragies, il tient bien le coup, nous aussi.
22 commentaires:
Denis aussi avait de la fumé qui sortait de son camion mais ce n'était pas le camion!!!!
Bize
Merci, Sandra, de nous rassurer tous et ce, à moins de 24 heures du premier bulletin médical de Fuego qui nous a tous laissés dans l'inquiétude. Ton rapport médical d'aujourd'hui nous permettra maintenant de bien manger et de dormir en paix. Il permettra aussi à André de réveillonner dans la joie et la bonne humeur!... :-))
(En passant, un autre magnifique texte digne de ta future anthologie littéraire! Félicitations!)
Hello!
Avant tout, comme c'est la première fois que je poste un commentaire, je dois commencer par des félicitations pour cet excellent cahier de bord!
Je suis heureux de lire que le malade a survécu à ses blessures!
Aurais-tu des images de l'opération?
Bonne route!
David
(Belgique)
Salut à vous deux, et aux nombreux lecteurs.
Bravo Richard,très fière de toi. Pour le dianostique rien a redire. ( fumée blanche=Antigel
fumée bleue=huile,fumée noire= mauvaise combustion ) Pour ce qui est de la décision de la réparation
ne dit-on pas que le client à toujours raison et quand le client s'appelle Sandra... pas le goût de m'obstiner.
Bonne route Joyeuses Fêtes.
R.D.
Il y a un commentaire qui a été supprimé par l'auteur. Il me semble que c'est moi l'auteure! Je ne sais pas ce qui c'est passé, je n'ai jamais supprimé un commentaire, il se passe des choses bizares...
David, les photos elles sont dans le texte, c'était vraiment pas beau à prendre en photo! Ferme tes yeux, tu verras!
Jean, te voilà rassuré!
Je savais bien que RD allait se manifester...
Nous sommes de retour pour de Joyeuses Fêtes!
Hum... Et la hâte de rentrer a sans doute pesé dans le choix du traitement, non?
Merci ! Sandra,
Tout est bien qui finit bien !
« Joyeuse plusse courte Journée de l'Année »! à tout le monde.
André.
Je suis contente pour Fuego et pour vous.
Je vous souhaite de Joyeuses Fêtes.
Bonjour!
Le commentaire supprimé c'est moi...
Je n'avais jamais remarqué cette fonction de suppression de ses propres textes (je suis bigleux, je sais) et j'ai voulu essayer.
Malheureusement, le message ne disparaît pas totalement puisqu'il reste cette "trace". Désolé pour cette espèce de pollution.
Milles excuses, je suis confus.
Et bien voila, en temps que nouveau chauffeur sur une vieille régine ayant appartenu à CAT, je prend bien note du truc et je prendrai soin de ne pas garder de Gatorade vert ou rose pour mon Big Mack, question de le laisser crevé en paix et en vitesse....Aussi tu dis que tu as toujours raison, c'est sûr, c'est inclus dans les gênes féminins....ouch , Daniel as toujours raison aussi, mais vois-tu , il est pourvu d'une tonne de gênes féminis...c'est presque une Danielle!!!!
Bonjour,
Voilà un diagnostic très claire. J'ai tout compris. Lorsque mon mécanicien me parle je ne comprends pas toujours aussi bien :-)
Lâcher pas! J'aime bien lire vos aventures.
Chère Sandra, il y a fuite et fuite... désolée pour Fuego, j'espère que ce ne sera rien. Moi, par contre, j'ai... pris la fuite... et je vois que tu viens encore sur mon pauvre blog fermé. Alors, merci de ta fidélité. Tu peux me retrouver - mais chut ! - ici: http://leonor.typepad.com/lady_painter/
Bisous et bonnes fêtes !
Ben oui quoi c'est Noël!!! Joyeux Noël à vous deux! Oups!! Vous trois!!!!
Bonjour,
J'ai beaucoup apprecie ce billet ...
Surtout continuez.
p.s. visiter ce site http://protectkid.blogspot.com/ il en vaut vraiment la peine.
Professeur Masqué
Salut à vous deux.
Je voulais juste vous remercier pour se blog qui incite au voyage.
J'ai hâte de lire la suite de vos aventures.
Sébastien (France)
Salut tout le monde.
Tout comme fuego , moi c'est mon ordinosaure qui m'as plantée la et comme c'est fête c'est long et penible d'attendre le diagnostique de sa maladie. Maintenant je suis de retour pour un bon bout (jespère).
Félicitation Richard pour ton diagnostique, mais je suis sure que Sandra aussi aurait trouver , tu sais sandra est comme une mère avec son fuego elle a un sens appropriée pour ca .Pour fuego je m'en fais pas il est fait fort il vivras une tres longue vie.
Richard,
Ne t'en fais pas si, parfois, on semble mésestimer ton comportement à l'égard de Fuego pour reporter toute sa confiance sur la « Mère Sandra ». Moi je trouve que, avec Fuego, tu te comportes encore mieux qu'« Un bon père de famille » et ce n'est pas rien, bien au contraire.
Bonne Année, Héros trop souvent ignoré de ce blogue !
André.
Hé Ho
J'ai pas dénigrer Richard au contraire tant mieux il a trouver le bobo sans aide :) et les yeux ouvert ;)
Bisous Richard
Sans rancune andré
ps(ce sont des blagues a l'école c'est moi qui écopais)
Bonjour Nathalie Furie,
Ton ordinosaure est-il encore à l'hôpital ?
En ce qui concerne Richard, l'occasion était trop belle pour que je ne la prenne pas afin de lui souhaiter la Bonne Année. Je t'en souhaite d'ailleurs une très belle et bonne, à toi aussi, Nathalie Furie.
Bonne journée,
André.
Salut André
Ben oui mon ordinosaure se porte bien fallait juste le flater dans le bon sens yé comme un homme :)
Je suis douée pour ouvrir les portes loll, mais j'en profiterais aussi pour souhaiter une bonne année a tout les écrivains du blogue ainsi qu'a mon ami Denis le camionneur.Je ne souhaiterais qu'une chose .. la santé, avec ca le reste viendra.
Bisou Sandra et au blogue.
Merci Nathalie !
Je crois que Sandra est revenue: je vais de ce pas lire son texte.
Ave !
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