28 décembre 2005

De la route encore pour les vacances de Noël...


Je ne vous oublie pas... Je suis en vacances et je profite du Québec au grand complet. J'étais au Lac-St-Jean pour Noël, hier j'ai fait 5 km de raquette avec mon père et Richard et je serai en Gaspésie pour le nouvel An. Je n'ai pas accès à Internet à tous les jours alors c'est un peu plus long... (Désolé Fou de Bassan... Je vais dans la direction de ton nid à l'île Bonnaventure... Peut-être t'y verrons nous en vol... On pourra jacasser un peu.)

Sandra

pps.: J'ai republié tout le bloque en plus gros caractères à la demande d'Anne-Laurence, Joyeux Noël Tatielol!

16 décembre 2005

Joyeux Noël!

Ça y est! On rentre à la maison pour les fêtes!

Et je sais que vous avez été sage cette année. C'est le Père-Noël lui-même qui me l'a dit.


Quoi? Vous ne saviez pas? Il travaille avec nous. Il a laissé tombé son traineau pour un camion! Et nous, nous sommes ses lutins. Nous travaillons pour l'aider à livrer tous vos cadeaux...

J O Y E U X N O Ë L !
Oh! Oh! Oh!

Sur les traces d'un chat sauvage en Caroline du Sud

Le vendredi 16 décembre 2005

À 1 heure 30 du matin, je me réveille en sursaut comme dans un cauchemar. Richard se fraye un chemin dans les trous d’eau de la cour de garnotte du client. Je tente de refermer les yeux et de me rendormir, mais je sens Richard faire des manœuvres de reculon pour stationner la remorque. La suspension à air descend doucement en faisant « pchssssssss ! », il avance lentement pour décrocher la remorque, j’entends le déclic. J’ai le tournis avec les mouvements du tracteur. Bang ! Il accroche une autre remorque. Le moteur s’arrête. Dehors, Richard bougonne comme un charretier avec des soupirs de découragement. Je me lève pour voir si je peux l’aider. Je constate les difficultés : il fait un noir d’encre, il a les deux pieds dans la boue jusqu’aux chevilles, il est penché en deux sous la remorque parce que son corps ne passe pas entre les deux remorques et il n’a pas de place pour tourner la manivelle qui monte les béquilles. Les nerfs sont à fleur de peau au bout d’une semaine. Avec la fatigue, le découragement est facile et la faculté de trouver une solution rapide aux problèmes diminue . C'est là que j'interviens, comme il l'a fait des centaines de fois pour moi. Je m'installe au volant et j'embraye en première vitesse. Le tracteur tire la remorque avec les béquilles qui glissent dans la boue. La manivelle est enfin dégagée et Richard peut enfin monter les béquilles. La tesion redescend et je peux enfin me rendormir.

Au matin: petit réveil douillet dans une ambiance feutrée par les grands pins sur le bord de la route. Encore une fois, Richard est allé au bout de son rouleau. Cette fois, au bout du rouleau, il n’y avait pas de stationnement pour un camion… Il nous a garé dans une sortie d’autoroute avec vue sur la pancarte « no parking ». Par chance, ce n’est pas la police qui m’a réveillé !

Ma route est courte ce matin, plus qu’une heure avant le nouveau chargement.

Chez le client, nous attendons plus de cinq heures pour la cargaison de pneus. C’est plutôt rare et nous en profitons pour nous reposer. Je vais au restaurant du coin pour prendre un café et lire un journal pendant que Richard dort. L’odeur de crêpe sucrée embaume le casse-croûte. La serveuse a aussi noté que ça sentait le sucre parce qu’elle m’appelle « sugar ». Le café est passable, mais ça fait du bien de changer d’habitacle. Il y a des habitués qui appellent les serveuses par leur nom. Je suis l’intruse et je me fais discrète pour mieux observer les lieux. Je sirote pendant une heure, c’est bon, de prendre son temps. Il m’en reste assez pour faire une longue marche dans le petit bois derrière la compagnie de pneu.

Mes pieds foulent un sol de cassonade jaune curcuma. J’en prends une poignée pour l’observer de plus près : il est formé de cristaux blancs comme du sucre et à mesure qu’il coule entre mes doigts, la couleur jaune tache ma main. Le vent a balayé le sable léger comme de la poussière et a dévoilé des fragments de granite. Voilà pourquoi la ville se nomme Granitville. Des milliers de roches sont ainsi exposées se faisant briller au soleil.


Le sable sert d’écrin de velours jaune aux pépites de granite. La musique des grillons donne un rythme à mes pas. Les pistes d’un chat sauvage guident ma promenade, je les remonte jusqu’à les perdre dans un épais tapis d’aiguille de pin, comme un shag des années 70. Je n’en ai jamais vu d’aussi longues, elles font plus de 25 cm. Les pommes de pin sont aussi énormes, grande comme deux patates bout à bout. J’aurai pu en faire provision pour Noël si j’avais eu un sac sur moi, ça fait plus chic que de se les acheter au Dollarama ! Je retourne au camion avec entrain en me remplissant les poumons d’air frais de la Géorgie. J’aurai un tas de choses à raconter à Richard. Jamais je n’aurais pu penser voir autant dans une promenade aussi anodine, et au mois de décembre de surcroît!

C’est probablement la dernière fois que je vous écris en route cette année. Demain, je serais chez moi pour les vacances de Noël jusqu’au 5 janvier.









Au menu ce matin: flocons de neige








Ce matin à Windsor avant de traverser la frontière de Detroit.




Le jeudi 15 décembre

Hier soir, tandis que j’ai laissé la remorque à Toronto, Richard en a repris une autre pour la Géorgie. Ce matin, je me réveille au bord de la frontière avec une heure de retard. Richard a tenté de me réveiller à 3 heures 30 ce matin pour la franchir, mais je n’ai pas eu le courage de me lever. Il faut dire que je m’étais endormie vers 1 heure 30. Je commence à ressentir la fatigue, mais je n’ai pas le droit de me plaindre pour ne pas saper le moral de l’équipe. À 9 heures, c’est moi qui dois le réveiller pour traverser les douanes américaines. Il y a cinq ans, quand l’un de nous dormait, nous pouvions traverser aux États-Unis, mais plus maintenant. Il nous demande systématiquement s’il y a quelqu’un d’autre à bord même quand nous sommes tous les deux assis à l’avant. Je conduis pour franchir la frontière, Richard à mes côtés cheveux hirsutes et visage bouffi. J’aurai honte de vous montrer notre photo ce matin, disons qu’à nous deux, nous formons un couple de débraillé parfaitement assorti… Cette nuit, Richard a télécopié tous les papiers au courtier en douanes en y collant un code à barres. Ce matin, le douanier, comme un caissier à l’épicerie, balaye le code avec son lecteur optique et trouve facilement notre chargement dans son ordinateur. Voilà ! Nous passons aux États-Unis avec facilité.

Dès la frontière passée, Richard s’effondre sur le lit pour poursuivre sa nuit de sommeil tandis que je traverse la tempête du Michigan et de l’Ohio. Cette fois, c’est de la neige et les ponts sont glissants. De toute façon, dans ces deux États, la vitesse pour un camion est limitée à 55 mph (88 km/heures). Je roule à la vitesse permise avec la prudence nécessaire dans ces conditions. À un moment, mon tracteur se met à patiner et je vois la remorque se replier lentement comme un portefeuille, mon cœur s’accélère subitement. Les mises en portefeuille sont la plus grande peur de tous les chauffeurs. L’hiver me rappelle sa présence. Je reprends le contrôle très vite en relâchant le régulateur de vitesse. D’autres n’ont pas eu cette chance, ils font maintenant partie du décor. Encore une fois, la route n’est pas de tout repos.

Je cède le siège de pilotage à Dayton en Ohio. Déjà, la tempête est moins vive. Richard franchit la frontière du Kentucky où la limite de vitesse est de 65 mph. C’est exactement la limite de vitesse de tous les camions de notre compagnie. Quoi ? Vous pensiez que les camions roulaient tous comme des fous ? Oui ! oui ! Je vous ai entendus sur les lignes ouvertes quand vous disiez que les camionneurs sont des fous au volant ! Hélas ! Comme parmi vous, chauffeurs de quatre roues, quelques-uns sont des chauffards. Mais désormais, sachez que près de 80 % des camions que vous croisez en chemin sont limités à une vitesse de moins de 110 km/h, dont certains, à 90 km/h. Vous comprendrez maintenant pourquoi ça prend du temps quand un camion essaye d’en dépasser un autre ! S'il vous plaît, un peu d’empathie pour nous quand vous appelez sur les lignes ouvertes ! Et n’oubliez pas : nous sommes des professionnels de la route, 300 000 km par année, ça fait rentrer le métier !

14 décembre 2005

L'hiver sournois


Le mercredi 14 décembre 2005
Il pleut en Illinois. Pourtant, une légère couche de neige recouvre les champs. Le thermomètre de mon rétroviseur indique le point de congélation. Mais le sol est bel et bien mouillé, pas de glace à l’horizon. Nous sommes toujours en direction du Canada, c’est donc dire que ça pourrait geler à tout moment à mesure que nous avancerons. Je redouble d’attention pour déceler du verglas. Je me concentre sur la route comme jamais, je garde le contrôle de l’accélérateur avec mon pied en oubliant le régulateur de vitesse.
L’hiver me dévoile sa face sombre. Sous son manteau immaculé, enjoleur avec sa blancheur, se cache de sournois dangers. Un moment d’inattention et il vous passe un sapin. Il en a passé des dizaines cette nuit. Un camion est complètement renversé sur le côté, je ne vois que ses 18 roues. Deux autres ont le nez dans le champ et devront compter sur une dépanneuse pour les dégager de là. J’ai compté 12 voitures sorties de la route.
Le sillon de bruine produit par le passage d’un pneu, m’indique que l’adhérence est bonne. L’absence de ce sillon est présage de glace noire, notre ennemi juré. Le vent fort siffle dans ma porte, comme pour me rappeler qu’il est là, prêt à me dérouter. Il hurle à grand coup, je ne m’entends plus penser. Des rangées d’arbres de chaque côté de la route me donne parfois un petit répit. Si j’échappe le volant, l’accotement glacé pourra me faire prendre le décor. J’ai peine à garder l’attirail entre les deux lignes.
En roulant, de la glace se forme sur mes miroirs. Heureusement, les épandeuses ont impeccablement accompli leur travail. Le sel est mon salut, il empêche l’eau de se solidifier et mon camion adhère sans fautes à la chaussée.
La bruine sous les roues est toujours présente et me rassure. Je ne la quitterai pas des yeux pour les 5 prochaines heures. Un excès de confiance peut nous être fatal.
Nous livrerons la remorque ce soir vers 22 heures à Toronto. Un autre voyage nous attend, cette fois il nous mènera jusqu’en Géorgie.
Je cède le volant à Richard pour l’après-midi, épuisée mentalement. Je vous l’avais dit, que l’hiver était sournois !

12 décembre 2005

J'amorce le retour

Le mardi 13 décembre 2005

Le cadran sonne trop tôt pour moi : il est 7 heures 30 et il fait encore nuit à Dallas. À l'heure où Richard dort, c’est moi qui livrerai la marchandise. Il nous a stationné dans une rue qui m’est inconnue, mais il m’a laissé les instructions sur la petite enregistreuse numérique pour me sortir de là. Avec ses indications, je me rends au centre de distribution de Wal-Mart qu'il avait repérer avant de se coucher. La sécurité m’indique mon numéro de porte de déchargement. C’est immense, il y en a une centaine. Je recule au dock 78 et je découple l’équipement. J’ai de la chance, il y a une remorque vide, je n’aurai pas besoin de faire le pied de grue trois heures pendant qu’on la décharge. Sans plus attendre, je l’accouple à mon tracteur et je me mets en route pour l’Oklahoma. Mon prochain client est à 4 heures de conduite. J’amorce déjà notre retour pour le Canada!

Sandra: 599 km
Richard: 699 km
Total: 1298 km

Le jardin de givre

Le lundi 12 décembre 2005

Ce matin, je me réveille dans un jardin de givre. Je sors munie de mon marteau et de mon appareil photo. Des monstres ronflent tout autour, ils ont une mauvaise haleine de gaz d’échappement. Je fais ma petite promenade matinale autour du camion pour l’inspection. Comme un musicien qui accorde son instrument, je jauge la pression de mes pneus avec un coup de masse. Je connais le rebond qui m’indique le bon accord.
La rosée a gelé et la nature est toute givrée. Les arbres sont majestueux sous leur mateau de glace tout blanc. L’hiver est bel et bien débuté, pour nous aussi.
Je repère derrière ma remorque une vigne courant le long d’une clôture de broche. Trois petites boules jaune doré comme dans un sapin y sont suspendues. Ce sont des raisins glacés, ils sont magnifiques. Reg
ardez!

À mesure que je roule, la neige semble fondre peu à peu. Le gazon commence la journée avec un épais tapis neigeux et au fur et à mesure que je descends au sud, il laisse entrevoir ses brindilles. Le voilà qui se déshabille ! Dans l’après-midi, il est complètement découvert. Nous débarquons nous dégourdir en Arkansas, cette fois, il faut ranger les bottes d’hiver et les manteaux, il fait bon s’étirer au soleil en simple chemise ! Ce matin, j’étais dans un jardin givre, me voilà dans un champ de coton au repos.
Encore huit heures pour arriver à destination. Déjà, un voyage de retour nous attends. On ne chômera pas pour les prochains jours !

Sandra : 844 km
Richard : 773 km
Total : 1617 km

Achat de produits illicites au supermarché canadien

Dimanche le 11 décembre 2005

Nous voilà repartis! En principe jusqu’à Noël. Il faut dire que nous sommes à Montréal depuis mardi, ce qui nous a laissé le temps d’en profiter. Vendredi matin, nous étions fins prêts à repartir, mais le travail tourne un peu au ralenti pour les équipes de chauffeurs comme nous. Ça nous a laissé un peu plus de temps pour compléter nos achats pour Noël, à notre retour, il sera peut-être trop tard.

Chaque départ est comme un déménagement dans notre résidence secondaire. Nous allons faire nos provisions au supermarché pour nous alimenter pendant environ une semaine. Mais nous devrons y retourner au moins une fois sur la route pour faire le plein de denrées périssables. Le camion est comme un chalet : mieux vaut avoir des équipements en double pour éviter de les transporter chaque fois. Ainsi, on y laisse toutes les denrées non périssables, et l’équipement pour cuisiner.


Au supermarché:

--Non! Sandra! Me dit de Richard comme à une enfant me voyant plonger la main dans les pamplemousses bien dodus. Je n’ai pas envie d’avoir un dossier criminel pour importation illégale de fruits illicites!

Dans son regard, j’ai compris ce qu’il pensait. Nous avions encore fraîchement en mémoire, pour l’avoir expérimentée, la loi américaine qui interdit l’importation d’agrumes ou tout autre fruits ou légumes qui n’a pas poussé au Canada ou aux États-Unis sous peine d’amende sévère et de dossier pour importation illégale… Je repense encore à la fois où je m’étais fait saisir une caissette de clémentines à peine entamée d’autant plus précieuses que c’était les premières de la saison. J’avais oublié deux fruits orange sous le pare-brise. Le douanier, sur le qui-vive, a dû y voir là des grenades potentielles : il a ordonné une fouille immédiate. J’avais dû m’habiller en vitesse, vu que j’étais en pyjama à cette heure avancée de la nuit et sortir du camion avec Richard. (Ce fut la dernière fois où je portai un pyjama pour traverser les douanes d’ailleurs ! ) Richard attendait derrière la remorque et je voyais le douanier s’impatienter dans le miroir pendant que j’attachais mes souliers. C’était quelques temps après le 11 septembre 2001. La tension était palpable. L’armée était venue prêter main-forte aux travailleurs frontaliers pour chercher Ben Laden dans un poids lourd… Ils étaient quatre gars armés pour notre cas. Pendant qu’un des deux bonshommes fouillait la remorque, l’autre nous a dit précisément où nous placer. Comme j’avais bougé de quelques centimètres, il m’a rappelée à l’ordre sur un ton ferme et même agressif. Il me pointa exactement l’endroit où il voulait que je me place et me prit par les deux biceps pour m’y placer. Erreur, on ne doit jamais toucher un suspect encore moins une suspecte. J’ai senti monter en moi un relent d’agressivité, que j’ai eu peine à contenir. Je me suis imaginé foutre une gifle bien sonore à ce jeune blanc-bec et cracher sur son uniforme tout neuf pour l’humilier devant ces congénères.

L’imagination, ça défoule!

Il appliquait ses techniques fraîchement apprises à l’école des gros cons, mais il aurait fallu qu’il y retourne pour des cours de savoir-vivre.Quant aux deux cadets de l’armée vêtus de camouflage, l’un est monté dans le camion pour le passer au peigne fin et y a découvert ma caissette de clémentines. Il l’a brandie fièrement à son superviseur telle une arme de destruction massive. Là, j’ai éclaté.

-Franchement, qu’est-ce que vous croyez que je fais avec les clémentines? Que je les importe pour les revendre? Figurez-vous que ça existe, un chauffeur qui mange des fruits. Saviez-vous que votre food and drug administration recommande d’en manger 10 par jours?
- Mam, it is illegal to import any citrus to United State.
- But I do not import them, I eat them (gros con ai-je pensé).
- Come on, this is my breakfast for the rest of the week!
- I’m sorry mam, but it is the law.(C’est ça fourre-toi-les ou je pense mes clémentines)

Je rageais tellement qu’un cinquième douanier qui semblait être le grand chef est venu me calmer. Le naïf cadet a dû sentir que la situation était ridicule, parce qu’il a laissé mes pamplemousses et mes oranges pourtant bien en évidence. J’ai compris que son petit sourire en était un de compassion. Après tout, on lui avait enseigné à chercher de la drogue des armes ou un terroriste, pas de malheureux fruits. Et puis ça ne fait pas tellement impressionnant devant les copains : hey les gars! J’ai trouvé des pamplemousse! En fin de compte, tout s’est terminé sans trop de bavures, dans ce pays de la liberté où un chauffeur transfrontalier ne peut même pas manger d’agrumes. Ne vous demandez pas pourquoi les chauffeurs sont souvent gros, diabétiques et cardiaques…

Pendant que mon compagnon de vie regardait les fesses d’une cliente humant des fraises, j’ai glissé deux fruits interdits bien roses et bien dodus sous le sac de salade prête à manger... Je prends le risque. J’en ai assez comme ça, des restrictions, confinée dans mon camion!


Richard : 573 km
Sandra : 487 km
Total : 1060 km

08 décembre 2005

Cheap fuel

Tous les truck-stops ont un buffet à volonté. L’expression française « à volonté » suppose que l’on fasse librement le choix de s’arrêter de manger selon notre bon vouloir. En anglais, « All you can eat » prend un tout autre sens. Traduit littéralement, ça devient : « tout ce que vous pouvez manger ». Et tant qu’à y être, pourquoi pas jusqu’à ce que la panse déborde ! Vu comme ça, l’expression devient dégoûtante, ne trouvez-vous pas ?

Même si l’appétit est déjà satisfait, si ça peut encore rentrer dans l’estomac, prenez-en donc encore un peu, puisque c’est gratuit nous disent les restaurants. La surconsommation nous guette partout. La première fois que j’ai demandé un thé glacé dans un restaurant de truck-stop, la serveuse est arrivée avec un litre. Et puis elle remplissait mon verre à mesure. Ce fut la dernière fois que je pris autre chose que de l’eau…

Une affiche publicitaire de Mc Donald résume toute la philosophie nord-américaine de la nutrition en 2 mots. Elle affiche un burger et une frite pour 1 $ et dit : " cheap fuel ".
Qui a envie de nourrir son corps avec de la nourriture cheap dans le sens de mauvaise qualité du terme ? Des millions de Nord-Américains ! Pensez-y la prochaine fois que vous ferez l’épicerie et que vous serez tentés de prendre le produit le moins cher sans réfléchir à sa qualité.

Allez ! Carburez votre corps avec du fuel de qualité, comme ça, vous parcourrez un long chemin, en sécurité, sans danger de tomber en panne par un moteur encrassé. Laissez tomber le " cheap fuel " , Je veux vous garder longtemps !



Ps.: En roulant, vous vous doutez bien que je n'ai pas eu le temps de prendre une photo de la publicité dont je vous parle ci-haut, mais je vous mets des photos du plus gros Mc Do au monde. Il passe par dessus l'autoroute. Ça rapporte le «cheap fuel » !

Pour Fou de bassan, à qui j'ai redonné le goût de la lecture...


Merci Fou de Bassan pour ton commentaire! (que vous trouverez dans prologue), Comme tu sembles apprécier les oiseaux, et pour le bénéfice des blogolecteurs, voici un couple de fou de Bassan. (prière de ne pas tenir compte de sa qualité, c'était le début de la photo numérique) Posted by Picasa

Promenade qui pique!


Promenade qui pique! Posted by Picasa

Croquettes pour Lapin du désert



Celle-là, c'est pour mon père. Un jour que j'étais en forêt avec lui, je lui en ai rapporté plusieurs pour lui demander ce que c'était. La petite fille en moi croyait avoir trouvé un trésor de bille ! Je me voyais déjà rapporter mon magot à l'école dans la cour de récréation pour devenir la championne du jeu de billes !

Dommage que les lapins ne soient pas revenus les manger au moment de mon passage. La prochaine fois, j'y mettrai un collet pour les chasseurs d'entre vous.

Spécialement pour toi Anne-Laurence


Pour Anne-Laurence, ma parisienne favorite. Je vous mettrai plus de photos grâce à sa demande.

Road Runner Bip! Bip!

Voici la suite de mon dernier voyage au Texas.


Samedi, le 3 décembre 2005


Richard a touché Laredo à deux heures cette nuit. Sans plus attendre, pendant que je dormais paisiblement, il a décroché la remorque et est reparti pour notre prochaine destination : El Paso. Quand je me réveille ce matin, ça me prend un petit moment pour réaliser où je suis. C’est le calme plat sur la petite route qu’il a empruntée. Il y a une légère brume bleue à l’horizon. On dirait la mer. C’est un mirage du désert. Je sors prendre l’air avec mon appareil photo. Une autre journée de soleil nous attend. Le long de la clôture de broche, j’observe les différentes variétés de cactus. De loin, tout semble coloré de la même palette de vert, mais à mesure que je m’approche, de minuscules détails rouge vif apparaissent. Un cactus a produit de petits fruits rouges épineux. La rosée fait briller la végétation. Ce climat aride est rempli de vie. J’aperçois des billes noires sur le sol. Ce sont des crottes de lièvre du désert. Ils reviendront pour les manger, puisque je constate écrasant la boulette qu’elle est verte et fraîche. Elles contiennent encore les nutriments nécessaires à leur survie, parce qu’elle serait plus petite et plus dure. En effet, les aliments du lièvre doivent passer deux fois dans leur système digestif pour assimiler tous les nutriments.

Je nage en pleine bande dessinée du " Road Runner " Bip ! Bip ! J’en vois un courir, traversant la route les jambes à son cou, comme dans le dessin animé de mon enfance. Les paysages sont semblables. Les montagnes ont la cime tranchée et forment des plateaux. Ne manque plus qu’un coyote !


Richard a déjà roulé quatre cent cinquante kilomètres depuis Laredo. Cinq cent trente kilomètres nous séparent encore d’El Paso. Allez ! Je me mets en route pour rouler comme des doigts qui courent sur un globe terrestre. Mais avant, je vous salue de mon ombre! (voir photo)


Blague de nouille

Au restaurant asiatique où l’on sert des soupes variées :

— La soupe aux nouilles udon, c’est quoi, des grosses nouilles ?
— C’est ça grosse nouille !

J’éclate de rire, la jeune fille bridée ne comprend pas qu’elle vient de me traiter de grosse nouille. J’en ai les larmes aux yeux, tellement c’est drôle. Elle reste perplexe devant mon fou rire incontrôlé, je perçois son malaise. La cuisinière sort de son arrière-boutique pour voir ce qui se passe. J’explique à la première qu’elle vient de me traiter de grosse nouille… Elles finissent par rire un peu toutes les deux plutôt contaminées par mon rire que par ma blague.

Retour à la maison

Je respire enfin l’air de Montréal. Je suis avide de nouvelles. Je n’ai pas lu un journal depuis 12 jours, à part les unes des journaux américains dans les truck-stops. Chaque matin, quand je suis chez moi, j’ouvre la porte d’entrée pour sentir le pouls de la rue, pour voir si ma voiture est du bon côté, si le facteur est passé. J’avais remarqué la veille qu’un voisin de palier n’avait pas ramassé son journal sur le paillasson, il ne l’avait toujours pas fait ce matin et un autre était arrivé. J’ai présumé qu’il était parti, j’ai hésité, regardé à droite à gauche, pas l’ombre d’un chat, vérifié s’il n’y avait pas de témoin regardant par sa fenêtre en face. Je me préparais à commettre un crime. J’ai refermé la porte honteuse en mordillant mes lèvres, mais toujours avec la main sur la poignée. J’ai rouvert, les journaux étaient toujours là, me suppliant de les lire… Vite je me suis accroupie, en répétant mon processus de surveillance… Je me jette dessus comme la misère sur les pauvres et referme la porte en vitesse. Dans ma tête, je me suis imaginé me faire prendre en jaquette en train de voler le journal du voisin. À la une d’un quotidien, on aurait pu lire : Une femme en jaquette dérobe le journal de son voisin… Je me suis dit qu’il me pardonnerait étant donné que, la semaine d’avant, il avait lui-même menti quand j’avais sonné à sa porte à une heure du matin qu’il m’avait dit : — non, non, mon bain n’a pas débordé ! J’avais paniqué à l’idée que c’était un tuyau qui avait lâché, pour me rendre à l’évidence, que c’était bien lui, le coupable. Ça m’aidait à me déculpabiliser de ne pas avoir eu le courage de m’habiller pour aller m’acheter un journal. Et puis je le remets en vitesse tout de suite après… Ni vue, ni connue !

Les plafonds de 9 pieds de mon appartement me donnent une illusion d’espace. Ça fait du bien de voir haut. En camion, le plafond mesure 6 pieds. J’aime le rituel des matins de mes retours. J’ouvre les rideaux de la porte-fenêtre de la cuisine, je me fais un café au lait dans mon bol en terre cuite fabriqué par un artisan de la Gaspésie, je m’assoie sur dans mon fauteuil Bouboule me suit et s’assoie sur l’autre. Le café du retour est toujours meilleur après 2 semaines de disette au café de truck-stop américain. Sa saveur, sa chaleur, sa mousse crémeuse, sa couleur de vrai café au lait sont un doux réconfort.

Ah ! Que c’est bon de lire un quotidien français ! (mais stressant quand même quand il est emprunté à l’insu de son propriétaire …) Il y avait eu des élections partielles dans mon quartier pour le député provincial, et celui pour qui j’aurais voté l’avait remporté. Je ressentais encore de la culpabilité à ne pas être allée voter, mais j’étais quelque part entre le Texas et le Michigan. C’est à ces occasions que je suis pour le vote par internet. Après tout, si le net était assez sécuritaire pour que j’y fasse mes transactions bancaires il devait l’être aussi pour voter. J’aurais pu le faire dans le confort de mon camion en branchant mon portable au réseau sans fil dans un des milliers de " hot spot ".

Ça fait du bien de rentrer à la maison ! VIte je retourne le journal...

Méditation au volant

La route m’absorbe, je suis sous hypnose et je compose. Un travailleur normal a presque toujours une distraction : son travail. Il doit servir un client, taper ou rédiger un texte, préparer et réciter un exposé oral… Rarement il est seul pour penser aux choses qui l’intéressent, ou alors il est qualifié d’employé lunatique. À la maison, d’autres distractions l’envahissent comme la télévision, les tâches ménagères.

Sur la route, je mets « mon pilote automatique », et je pense. Je conduis entre 8 et 10 heures par jour, et la majorité de ces heures sont passées sur la grand-route, sans aucune manœuvre risquée, un travail consistant à garder la machine entre les deux lignes. Monotone comme un travail de chaîne de montage dîtes-vous? La pure liberté, c’est d’avoir son esprit entièrement à soi. Ce métier, qui est parfois très stressant, se fait le plus souvent libérateur d’esprit. Mes pensées peuvent errer comme bon leur semble, rien ne vient les déranger. Je garde le cap comme un capitaine et le tour est joué! Inspirée par ce que je vois ou encore un projet que j’ai en tête, comme aménager une pièce, construire un édifice, planifier un voyage, je laisse courir mon esprit. Avec mes lectures de l’après-midi vautrée dans mon lit, j’organise mes pensées et je m’instruis comme jamais je ne l’ai fait. J'assimile ensuite l'information pendant mes heures de conduite.

C’est ce qui me manquera le plus quand viendra le moment de me retirer.

07 décembre 2005

Mon camionneur dans l'Utah

Sans lui... Je me réveillerai toujours au même endroit, là où je m'étais arrêtée. Mais grâce à lui, la nuit défile à vive allure et au petit matin, je suis ailleurs! C'est un « mangeux d'asphalte » comme on dit dans le métier!

Au volant de mon camion


Je vous présente ma binette Posted by Picasa

Des pâtes au fioul pour dîner...

J’ai mis des pâtes à bouillir pour mon dîner. Je les surveille par-dessus mon écran assise dans mon lit. Vous savez, c’est tout un système pour cuisiner en camion. C’est de la cuisine de brousse tous les jours. D’abord, vous devriez tous avoir ça : une bouilloire qui fait office de chaudron, son fond est une plaque chauffante et l’ouverture fait son diamètre. L’eau y bout en 3 minutes, j’y dépose les pâtes et attends un autre 2 minutes, je la débranche et je laisse reposer environ 8 minutes. Au total, 5 minutes d’énergie dépensée. Qui dit mieux ? Il faut bien économiser l’énergie quand on fait des pâtes au fioul ! En effet, pour produire du courant je dois démarrer la génératrice, qui puise directement son combustible dans les réservoirs. Pas trop écologique comme système. Afin d’éviter tout renversement de mon précieux repas, je dois déposer la bouilloire directement sur le sol entre les deux sièges dans un grand réceptacle de plastique. Les soubresauts de la route font souvent déborder l’eau. Je suis loin de la cuisine de Josée Di Stasio ! Je vous confirme que l’ail se congèle : la gousse que j’ai laissée dans le camion pendant mes congés, où le thermomètre a franchi le point de congélation, est encore bien craquante sous mon couteau. Mes doigts deviennent collants au contact du jus de l’ail. Je n’ai pas de robinets pour les rincer, alors je me résous à les tremper dans l’eau de cuisson des pâtes pour enlever un peu l’odeur. La sauce tomate en bouteille viendra compléter mon repas et un verre de lait pour les protéines et le calcium.

Conduire parmis les Cowboys


C’e
st encore le temps des couleurs en Arkansas. Bien sûr, ce ne sont pas des couleurs aussi vibrantes que dans les Laurentides au mois d’octobre, mais c’est quand même plus joli que le mois de novembre grisonnant du Nord. Bien éclairées par le soleil de l’après-midi, elles se déclinent dans des camaïeux d’ocre, de roux et de vert forêt .

Pendant que je vous écrivais, nous avons franchi la frontière du Texas. Malgré que le soleil redescende lentement, la température continue de grimper. Elle le fera jusqu’à Laredo. Il fait chaud tout à coup. Richard allume l’air conditionné pour maintenir une température agréable dans l’habitacle. Il faut dire que le gros moteur diesel sous le capot chauffe à plus 175o Celsius. Dès que les températures extérieures atteignent 16o Celsius, la chaleur devient suffocante à l’intérieur. Voilà qu’il fait déjà 20o Celsius à 17heure ! Cap plein Sud maintenant. Laredo se trouve à 675 km en ligne droite. C’est que le Texas est le plus grand état américain, soit presque qu’aussi grand que le Québec. Nous sommes à Dallas. Nous partageons la route avec les cowboys en pick-up. Je compte le ratio de 4x4 à 7 véhicules sur dix. Des mastodontes pour déplacement personnel. Et pas des petits Ford Ranger ! Des Explorer, des Expeditions, des Ram 3500 avec les roues surdimensionnées, des Hummers. THINK BIG ! Rien n’est assez gros pour l’ego Texan. Mais c’est qu’un " 4 pattes " est très pratique pour tracer sa propre sortie d’autoroute. Rien n’arrête ces cowboys, quand ils décident de sortir de l’autoroute. Les traces de roues viennent témoigner de leur passage çà et là. Tiens, voilà toute une famille de vrais cowboys : ils se sont arrêtés tranquillement dans l’herbe sur l’accotement en plein Dallas, comme s’ils étaient en plein ranch, avec la grosse roulotte pour chevaux. Un homme avec le traditionnel chapeau sort ses animaux de la remorque, une petite fille leur donne de l’eau. Les nobles bêtes broutent l’herbe en nous regardant passer à 105km/h ! Il n’y a jamais de problèmes avec un Texan.

Dans les aires de repos en bordure d’autoroute, il y a toujours deux sections. Une pour les camions et une pour les voitures. Il n’est pas rare de voir un pick-up se prendre pour un camion 18 roues et prendre la fourche pour qui nous est réservée. Ici, tout est fait en fonction du camion. Au supermarché, on pourrait presque mettre deux Tercel dans une place de stationnement ordinaire.

Maintenant, à mon tour de conduire parmi les cowboys !

Pit stop

Me voilà en Arkansas. C’est en bordure d’une sortie de la route que je me suis réveillée ce matin, Richard respirant doucement à mes côtés. C’est l’inconfort dû à la chaleur qui m’a réveillée. Non pas la chaleur extérieure, mais plutôt celle de l’habitacle surchauffé par la génératrice. Dehors, quand je suis sortie inspecter le camion, les roues arrière trempaient dans une flaque d’eau où des cristaux de glace flottaient tranquillement dans la boue.

Il est quatorze heures, la température atteint 15 degrés déjà. Il fait vraiment bon dehors. Nous nous sommes arrêtés une quinzaine de minutes vers treize heures pour mettre du carburant et pour changer de chauffeur.

Depuis quelque temps, le prix du carburant est exorbitant et le dollar canadien est fort. La combinaison des deux facteurs fait très mal à la compagnie qui a décidé de prendre le taureau par les cornes. Elle s’est dotée d’un système de surveillance de prix automatisé par le réseau internet. Les informations spécifiques de chacun des camions de la flotte lui sont transmises par satellite. Cette machine hyperperformante adapte les informations recueillies, pour les quelques 350 camions qui vont dans toutes les directions de l’Amérique du Nord. Nous recevons automatiquement un itinéraire de ravitaillement dans notre ordinateur de bord relié par satellite. La quantité exacte de pétrole à acheter y est indiquée. Cette fois, l’ordinateur nous a fait arrêter dans un truck-stop appelé " Loves " à Prescott en Arkansas. Un truck-stop nommé amour… Peut-être pour apporter un peu de réconfort au cowboy des Temps modernes que nous sommes... Pour ce faire, ils ont mis des cœurs partout : un immense rouge au-dessus de l’insigne visible à plus d’un kilomètre, des dizaines sur les bannières jaunes coiffant l’édifice et les baies de ravitaillement, trois rouges et oranges sur chacune des pompes. C’est vrai que c’est dans les truck-stops que l’on trouve le réconfort pour satisfaire tous nos besoins : manger, dormir, se ravitailler, se laver, se reposer, se divertir, se brancher sur internet.

Nous ne devons pas être les seuls à avoir ce système de vérification de prix : il y a une queue de plus de trois camions par pompes. Une rangée de camions qui ont terminé de remplir à l’avant des pompes, une autre qui est en train de faire le plein et une dernière qui attend patiemment que les autres avancent pour pouvoir faire la même chose. En attendant en ligne aux pompes, le chauffeur d’à côté mange sa soupe, assis au volant. Un autre se dégourdit avec son chien : je ne sais plus qui promène qui !

Selon le message reçu, on devait mettre exactement 63 gallons alors qu’on peut en mettre jusqu’à 300. Les pompes sont ultrarapides comme dans les " pit-stop " de F1. Pendant que le carburant giclait dans les réservoirs, Richard a lavé les miroirs, le pare-brise, et rempli le réservoir de lave-glace. À son retour, il y avait déjà 90 gallons ! De toute façon, c’est mieux d’en avoir un peu plus pour les impondérables : le vent, le poids, le froid, le trafic, les nuits de repos avec la génératrice en marche.

En moins de cinq minutes, tout est rempli. Chaque chauffeur possède une carte de crédit adaptée au besoin du métier, et un code personnel ainsi que le kilométrage du camion activent le pompage du jus malodorant. L’odeur est en effet persistante et on doit absolument éviter d’entrer en contact avec une goutte parce qu’il y en a pour des jours à empester. C’est d’ailleurs une des raisons pour laquelle Richard a pris l’habitude de faire cette tâche. J’ai déjà échappé la pompe en marche, j’avais du fioul plein les cheveux, ça dégoulinait dans mes yeux et sur tous mes vêtements… Je venais de prendre ma douche avec des vêtements propres et j’ai dû tout recommencer. Mon manteau en goretex en garde encore des traces après de nombreux lavages. J’avais aussi suspendu mes vêtements rincés à l’eau chaude entre le camion et la remorque. En roulant, ils se sont envolés au vent… C’était il y a cinq ans. Il y a des souvenirs qui vous imprègnent littéralement ! Depuis cette mésaventure, je porte mon uniforme pour ne pas gâcher mes vêtements personnels et je remplis le camion comme un chat échaudé.

Allez! Je reprends le chemin...

Ça roule!

Nous ça roule toujours. Nous avons pris le rythme de travailler moins de 20 jours par mois, ce qui nous laisse assez de temps libre à la maison. J'étais en Californie il y a quelques semaines, j'arrive du Texas et me voilà de nouveau en route pour le Texas. J'écris ce message de mon camion, assise sur le siège du passager. Les paysages défilent à 100 à l'heure pendant que Richard conduit avec son baladeur MP3 sur les oreilles. Il neige des petits flocons et un tapis blanc recouvre parcimonieusement les pelouses. Il est 15hrs. Je roule vers le Sud-est et je franchirai bientôt le fuseau horaire où il y aura une heure de moins. Si vous écoutez Jocelyne au Téléjournal ce soir, dites-vous que j'étais sous la masse nuageuse qui recouvrait l'Ohio. Je cours plus vite que les nuages. La météo ne vient pas à moi, je roule vers elle. Je me déplace de climat en climat. Aujourd'hui, je vois des arbres hivernant, demain ça sera les cactus verdoyant sous le soleil quasi permanent de Laredo.

Je vous posterai ce message au prochain Truck-stop qui sera en Illinois. Nous avons un accès internet sans fil (wi-fi hot spot) dans une chaîne de truck-stop. Sans même sortir de mon camion, arrêtée aux pompes ou dans le grand stationnement, je pourrai vous envoyer ce message que vous aurez instantanément. Je pourrais même vous parler gratuitement si vous étiez branchées avec Skype (téléphonie IP pour celles qui connaissent.). Ça vaudrait le coup que vous le téléchargiez : c'est gratuit et on peut se parler d'ordi à ordi comme au téléphone, sans coupure. C'est un bon moyen pour rapprocher les familles et les amis éloignés.


Voilà ! Je vous laisse. Je retourne à ma lecture du moment : Elle Québec, L'actualité, et le petit cours d'autodéfense intellectuelle de Normand Baillargeon prof à l'Uquam. Je recommence à conduire à 18 heures jusqu'à 23 heures.

Petite vie petites misères!

Voici quelques bribes d’une chanson de Plume que j’applique à la lettre et je vois que je ne suis pas la seule:

Y fait pas chaud,
même si l’hiver est beau.
J’aurai donc dû sacrer mon camp jusqu’au printemps !

Prologue

Un jour, comme une bête de ferme dans son troupeau, je transhumais, léthargique, au milieu des autres automobilistes en me rendant au travail. Mon esprit s’est envoler au dessus de l’autoroute dans les émanations toxiques. À perte de vue, j’ai vu des zombies, endormis au gaz, roulant dans leur sarcophages de tôle. Comme un témoin de Jéhovah, j’ai crié " R É V E I L L E Z - V O U S ! ".

L’écho du chroniqueur de la circulation m’a ramené sur terre. Il répétait pour la énième fois, tel un mantra, son bulletin de la circulation. J’ai compris que je ne voulais plus perdre mon temps aussi futilement.

Depuis ce temps, je dors au bureau.
Je rentre chez-nous tous les dix jours.

D’après mon évaluation, un travailleur passe huit heures par semaine dans ses déplacements pour se rendre au travail. Donc, en un mois, j’aurai sauvé plus de 24 heures, que j’utiliserai à des fins plus édifiantes qu’à tenir un poteau de métro graisseux, prise entre deux sacoches ou à angoisser rongeant mes ongles dans le trafic.

Mon bureau a une vue panoramique. J’y vois défiler les saisons au rythme de mon travail. Je m’y suis bien installée pour ne manquer de rien et me concentrer sur mon occupation professionnelle. J’ai un demi-lit confortable avec une couette de plume, chaude l’hiver et fraîche l’été, une petite télé, un mini réfrigérateur. J’y garde de quoi manger pour plusieurs jours. Je peux cuisiner avec mon four à micro-ondes, mon grille-pain, mon grilloir électrique ou ma bouilloire. Parfois, je sors au restaurant. À la maison je garde mes vêtements pour mes loisirs, au travail j’y laisse mes uniformes. Ma journée débute en général dès sept heures. J’enfile les vêtements laissés sur le fauteuil la veille et je me fais bouillir un œuf mollet que j’écrase sur du pain grillé tartiné de pesto et de tomates et me voilà déjà prête à gagner ma croûte. Je ne perds pas une minute à me coiffer ou à me maquiller. Je m’installe sur mon siège dès sept heures, pour bosser jusqu’à treize heures. L’après-midi, je m’accorde quatre ou cinq heures de répit. Je prends une douche et je lis ou je regarde la télé, étendue dans ma couchette ou assise sur le fauteuil d’appoint. Je reprends du service vers 18 heures jusqu’à 23h00 où je m’endors en lisant quelques minutes, épuisée par ce labeur. Je travaille en moyenne vingt jours par mois, mais je m’accorde plus de cinq semaines de vacances dans l’année.

Richard travaille pour la même firme que moi. Nous partageons le même espace de travail, le même bureau, les mêmes outils, mais nos horaires sont diamétralement opposés. Comme la machine roule presque sans arrêt, nous faisons une rotation deux fois par jour, lui veille au grain la nuit et l’après-midi pendant que je me repose.

Je suis camionneuse. Le camion, c’est mon bureau, les routes de l’Amérique, mon territoire. Je travaille avec 5 millions de collègues qui sillonnent ces couloirs le jour, comme la nuit. Ma vie de tous les jours n’a rien d’ordinaire. Quand je me lève, je suis toujours ailleurs. Je me réveille dans une autre ville, un autre climat, un autre pays, un autre paysage. Je suis rarement au même endroit le matin, le midi, ou le soir. Il fait cinq degrés sous zéro le jour, le lendemain à la même heure, il en fait 20. La neige couvre le sol un matin, les cactus s’étirent au soleil le jour suivant.

Comme dans une salle des machines, il y a toujours un grondement. C’est le bruit du moteur qui ronronne comme un chat en amour. Le moteur travaille sans cesse. Il fait vibrer toute la cabine. Quand le vent et la pluie viennent se mettre de la partie, ils changent la musique du cockpit. Ça siffle, et ça grésille sur l’habitacle.

J’ai un gentil voisin. Il ramasse le courrier et il prend soin de Bouboule notre chat. J’ai bien essayé de l’emmener, mais il a peur de son ombre. En voiture, il souffle comme un chien avec la langue sortie. La route ce n’est pas pour lui qu’il nous a jappé en pissant sur la banquette…
Nous sommes à l’arrière scène de la société de consommation. Les étapes de transformation, et la pollution qui vient avec, se passent sous nos yeux. C’est à faire damner un activiste de Greenpeace! (Dont je suis…)