08 mars 2006

Un pit-stop à Laredo

Voici un court compte rendu de notre dernier voyage. André me demande combien il y a de kilomètre pour un allez-retour entre Montréal et Laredo. Ça représente environ 7050 km. Vous comprendrez alors pourquoi je ne vous écris pas plus souvent, c'est d'l'ouvrage conduire un camion!


Voilà plus de 40 heures que nous roulons sans vraiment nous arrêter. Nous effleurons Laredo un samedi soir de beau temps. La remorque est décrochée, les papiers laissés dans la boîte aux lettres du bureau fermé. Notre chargement de retour au Canada nous attend. Mais nous aurons besoin de nourriture pour la route. Nous partons donc sans remorque pour aller en ville à six kilomètres du terminal.

(Pause vocabulaire du camionneur. Partir sans remorque se dit « bob tail». Alors dans le paragraphe précédent, dans le langage courant du camionneur, j’aurai dit : Nous partons bob-tail pour aller en ville… Je sollicite ici mes lecteurs-traducteurs, je pense entre autres à Bruno, à Panthère rousse, peut-être aussi à Choubine, pour trouver une jolie expression pour bob-tail.
Trêve de vocabulaire, reprenons le cours normal de notre voyage)

Laredo, si dénaturée par l’asphalte et le béton, parait bien gaie ce soir. Des jeunes se promènent en voitures d’où résonnent les « boumboums ». Près du supermarché, un bar. Dès que je sors du camion, l’écho de gens discutant bruyamment au son d’une musique disco me parvient. Je les aperçois de l’autre côté de la rue sur une terrasse illuminée par des spots de couleur. La cime des palmiers n’est presque pas visible dans le ciel sans étoile, que les longs troncs alignés comme des poteaux électriques. Une odeur de fumée de bois de mesquite embaume celle des pots d’échappement. La voiture est reine à Laredo : il n’y a pas de trottoir pour les piétons alors elles sont légions. Mais ce soir, les promeneurs motorisés ont baissé leurs fenêtres pour se faire voir dans leur caisse de son.

Je repère quelques plaques d’immatriculation du Mexique parmi celles du Texas dans le stationnement du centre d’achat bondé comme un 23 décembre même un samedi à 20 h 30 min. Les magasins sont les centres sociaux, ils ne ferment que très tard. Il n’y a pas grand-chose d’autre à faire dans cette ville frontalière, pendant les mois d’été, il fait trop chaud pour envisager de faire une activité non climatisée.

Magasiner, travailler, dépenser, payer.
Retourner convoiter des objets à l’existence insoupçonnée.
Retourner travailler pour les payer.
Retourner la roue de fortune.
Retourner la roue de l’économie.
Jouer la planète à la roulette.
À Laredo, ainsi va la vie.

C’est la quintessence de la consommation occidentale. Au mois d’août, juste avant la rentrée des classes, pendant le President Day, il y a congé de taxe et les magasins sont littéralement pris d’assaut. J’ai entendu quelque part que c’est dans cette ville que Wal-Mart fait son plus gros chiffre d’affaires par habitant au monde. Je n’ai pas de difficulté à le croire. D'ailleurs, Wal-Mart y a deux grandes surfaces qui ne ferment jamais. À Laredo, la rage du magasinage peut être rassasiée à toute heure. Les Américains l’appellent le Wallie World comme si c’était Disney World. Somme toute, ils sont tous les deux des paradis pour consommateurs non avertis. Ils sont des casinos qui comblent des vides intérieurs et qui remplissent les poches des commerçants.

À notre tour maintenant de jouer de la roulette : à l’épicerie, nous faisons le plein de denrées. Je prends des avocats bien mûrs à 2 pour 1 $. Les piments séchés sont offerts dans une pléthore de variété. Des piquants, des doux, des rouges et des grillés, des verts et des fumés. (Tien ! je décèle ici un potentiel de toune pour la Bottine souriante ou mes Aïeux) (notes aux Européens : toune veut dire chanson. La Bottine et Mes Aïeux sont deux groupes qui font dans le folklore québécois.) La dernière fois, j’en ai acheté un qui s’est avéré être une véritable rampe de lancement pour l’enfer ! Comme dans une bande dessinée, j’y ai été propulsée avec les yeux désorbités, mes cheveux dressés puant le poil grillé. Alors aujourd’hui, je passe mon tour ! Près des boîtes de piments se trouvent des fleurs d’hibiscus. Les Mexicains et les Texans en font une décoction sucrée qu’ils refroidissent pour faire du jus. Je vois aussi de la camomille en botte, j’y plonge les narines pour sentir l’odeur à la réputation calmante. Tout près, des cônes de sucre brun à l’air libre qu’on peut lécher comme des sucettes. Peut-être est-ce pour mettre dans les infusions d’hibiscus et de camomille ? Je n’en ai jamais acheté faute de savoir quoi en faire.

Je prends un sac de petites limettes à 2 $, plus savoureuses que les grosses et que je rapporterai à Montréal pour faire de la margarita, un gros sac d’oranges du Texas que je sais être moins juteuses que celle de la Californie, mais bon, on est au Texas. Un oignon blanc et de mini tomates. J’ai envie de manger de la guacamole et je pourrai m’en faire dans le camion. (Apparemment, il faut dire du guacamole, mais je trouve ça archilaid… comme un jeté ou du cantalou (sans prononcer le p), beurk !)

Richard met un poulet tout chaud dans le panier. Il est cuit sur place au barbecue de mesquite. Jamais nous n’avons trouvé un poulet tout prêt au supermarché aussi goûteux. Les Texans savent y faire dans la cuisson des viandes. Je les soupçonne de faire des injections de marinade dans la chair à un moment précis pour que les muscles absorbent tout le jus. L’idée m’est venue quand j’ai vu, à vendre sur les rayons, des ensembles de « vaccination » pour la viande avec la seringue et la sauce.

Je prends aussi de la salsa piquante, il y en a des tonnes, une rangée complète de 6 pieds de haut par 25 pieds de long. Lire les titres est une activité en soi. Chaleur des tropiques, XXX cuidado (attention), clé de l’enfer, feu de l’amour, sauce à suer, autoroute pour l’enfer… Des noms qui donnent chaud.

Je passe dans le rayon des tortillas, j’ai autant de choix que pour acheter un pain à l’épicerie de Montréal. Ils se déclinent en plusieurs farines, les frais du jour sont dans une glacière chauffante. Ils répandent une bonne odeur de blé d'Inde dans toute l’allée. Je prends ceux au maïs jaune parce qu’il n’y a que trois ingrédients qui les composent : farine de maïs, eau, jus de lime. À 0.39 $, c’est une aubaine !

Très vite, nous reprenons l’autoroute qui scinde la ville en deux et derrière nous, nous laissons Laredo avec ses rumeurs de fêtes. Au terminal, nous accrochons la remorque que nous trainerons jusqu’à Guelph en Ontario. Je pense à vous tous, en ce samedi soir, qui devez être bien tranquilles chez vous, et moi qui en ai encore pour quelques jours avant de rentrer !

Ce soir, je suis de retour chez moi et pour publier ce texte, je bois une margarita à la limette en pensant à la terrasse et aux palmiers de Laredo. Bientôt, ce sera notre tour !

18 commentaires:

Anonyme a dit...

J'ai eu l'impression de jouer à la roulette à l'épicerie et de détailler tous les produits avec toi.
Il faudra que tu nous donnes la recette de la margarita à la limette.
Pareil, je suis intriguée par la tortilla farine maïs, eau et jus de lime. ça doit être assez étonnant. C'est la gourmande qui parle.

Julie Kertesz - me - moi - jk a dit...

Je voyage un peu avec vous!
C'est vraiment beaucoup 40h sans arrêt!
Où s'est Larédo sur la carte?
j'adore toujours te lire...

avez-vous fait quelques photos à Larédo?

Anonyme a dit...

Bob-tail = Queue d'Robert ?

;-)

Anonyme a dit...

Je propose "courte queue" pour traduire bob tail. Nous quittons le terminal a courte-queue.

Voici ce que google nous donne sur bob tail:

The adjective bobtail has one meaning:
Meaning #1: having a short or shortened tail
Synonym: bobtailed

ps .j'adore lire votre blog.

Dorothee :))

Anonyme a dit...

dorothee b

ps 1/ Me rappelant la culture machiste du monde du camionnage, je doute fort (et avec sourire en coin) que ma suggestion de "courte queue" soit retenue et encore moins utilisee couramment pas vos collegues camionneurs.

PS 2/ En cette journee internationale de la femme, je vous tire mon chapeau bien bas et vous salue, grande voyageuse et "pourfendeuse" de stereotypes.

Bonne route.

Dorothee

camionneuse a dit...

Oui Dorothée...

Avec la queue... C'est plutôt délicat! Je vois mal un chauffeur dire qu'il se promène la queue écourtée! Ça fait castré sur les bord!

Photomax, Queue d'Robert, ça fait pas mal viril! Je m'imagine dire que je me promène avec ou sans la queue de Robert... Oups! C'est Robert qui serait content...

Mijo, je travaille sur la recette et je t'envoie ça... Elle sera surement à point avant l'été pour les terrasses.

Et Julie, j'ai pensé prendre une photo de mon écran d'ordi, le Résultat n'est pas génial, mais au moins, ça donne une idée. Je vous mets ça bientôt.

Anonyme a dit...

Chère Sandra, à toi et à toutes tes compagnes camionneuses, ainsi qu'à vous toutes qui excercez la profession de votre choix et que vous aimez (incluant celles qui restent à la maison peu importe la raison), à vous toutes qui lisez ce blogue (et qui lisez les commentaires des lecteurs/lectrices), je vous souhaite "bonne fête", particulièrement en ce 8 mars, Journée de la femme, et aussi "bonne journée" pour les 364 autres jours de l'année!... Également, en hommage et en mémoire de ma chère épouse Anna qui nous a quittés le 1er octobre dernier, après 23 mois de combat très difficile et très douloureux (physiquement et moralement) contre un cancer. Elle a fait preuve d'un courage inouï, elle a été une combattante exemplaire. Bonne journée de la femme à toi, Anna, ainsi qu'à toutes celles qui souffrent ou qui ont souffert comme elle!...

Jean de Sainte-Julie

Anonyme a dit...

Pour ton blogue, Sandra, tu mériterais bien un prix littéraire. Au risque de me répéter et de répéter ce que d'autres lecteurs/lectrices t'écrivent, j'ajouterai que tu utilises un langage qui est de haut niveau, sans être pédant ni ennuyant. Ton vocabulaire est varié, riche et vivant, ta syntaxe est sans faille, ton orthographe (à part quelques fautes de frappe ou de distraction... ça arrive à tout le monde!) est irréprochable. Ainsi, la lecture de tes textes se fait avec fluidité et surtout grand plaisir. C'est très agréable de te lire! Coudonc, Sandra, où as-tu appris à écrire comme ça?... J'ai déjà été chargé de cours à l'université (Montréal, UQÀM et Télé-université) et les textes de plusieurs de mes étudiants n'allaient pas à la cheville des tiens!... Et avec ça, ajoutez un sens de l'humour empreint de finesse, je dirais toute féminine!... Que demander de plus?!... :-))

Ainsi ton texte sur Laredo, à la fois narratif et descriptif, anime tous nos sens et regorge d'informations pertinentes et inconnues de nous. C'est absolument vrai que nous nous coucherons moins "niaiseux" ce soir, tu sais?!... De plus, dans le prochain salon que je vais fréquenter (hum!), je vais entretenir la conversation sur Laredo, Texas, USA, en racontant qu'on y voit telle chose, qu'on y hume de telles odeurs, qu'on entend tel et tel sons, qu'on y goûte telles saveurs, que les choses se font de telle façon, qu'on y vit de telle manière, etc., etc. -"Coudonc, Jean, t'es allé souvent à Laredo, Texas, toi?"... -"Heueueu, non, jamais! Mais je lis le blogue de Sandra, vous savez, la camionneuse? Elle, elle y va souvent et elle raconte tellement bien tout ce qu'elle voit, entend, sent, touche, goûte! Ça fait que, en la lisant, c'est comme si on y était allé soi-même! Et ça nous permet de bien paraître dans les salons!..."

Changement de sujet: hum!... en ce qui concerne la... hum!... queue, faudrait peut-être, uniquement pour Sandra, rebaptiser "bob-tail" par "rick-tail", hein?... Faut pas oublier qu'il s'appelle Richard et non Robert!!!... :-)))

Jean de Sainte-Julie

Anonyme a dit...

Je vous reviens avec la... queue: je viens tout juste de consulter le site de l'Office québécois de la langue française (OQLF: http://www.oqlf.gouv.qc.ca) et lorsqu'on fait une recherche dans le “grand dictionnaire terminologique” pour le mot anglais "bobtail", on obtient le résultat suivant (http://w3.granddictionnaire.com/BTML/FRA/r_Motclef/index800_1.asp) :
Domaine(s) : - industrie automobile - véhicule de transport routier
français : tracteur haut-le-pied n. m.
Équivalent(s) : English bobtail tractor
Définition : Tracteur routier circulant sans être attelé à une semi-remorque.
Sous-entrée(s) :
synonyme(s) : haut-le-pied n. m. haut le pied n. m.
quasi-synonyme(s) : tracteur solo n. m. tracteur seul n. m.
variante(s) graphique(s) : tracteur haut le pied n. m.
Note(s) : Dans la langue courante, on peut employer tracteur solo ou tracteur seul. Cependant, dans les textes spécialisés sur le transport routier, tracteur haut-le-pied convient davantage.
[Office québécois de la langue française, 2002]
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Voilà! Je n'ajoute rien pour ne pas empirer les choses!... :-)))

Jean de Sainte-Julie

Panthère rousse a dit...

Zut, je m'en venais mettre le lien vers la fiche du Grand dictionnaire terminologique, un de mes principaux outils de travail, mais un autre commentateur m'a devancée... Merci pour tes récits de voyage, ça fait du bien dans la grisaille de la fin d'hiver!

Panthère rousse a dit...

Un autre commentaire, culinaro-linguistique (ou linguistico-culinaire?) cette fois. Tu parles de «jus de lime» parmi les ingrédients des tortillas. Je suppose qu'il s'agit de «lime water» en anglais? Eh bien ça n'a rien à voir avec les fruits, c'est de l'eau de chaux. Dans Wikipedia en français, on explique le mode de fabrication des tortillas : http://fr.wikipedia.org/wiki/Tortilla
Mais l'article en anglais sur le même sujet souligne l'importance de l'eau de chaux et est plus complet, alors si vous lisez l'anglais, je vous le conseille : http://en.wikipedia.org/wiki/Tortilla
On précise à la rubrique «lime water» : Lime water is the common name for saturated calcium hydroxide solution. Le Grand dictionnaire terminologique (toujours lui) traduit «calcium hydroxide» par hydroxyde de calcium, chaux éteinte, chaux hydratée et pour les chimistes, Ca(OH)2. Alors voilà, on en saura maintenant plus sur les tortillas.

Anonyme a dit...

"Partir sans la remorque", ça me paraît très bien. Sinon votre beau camion rouge pourrait peut-être repartir équeuté, comme une fraise?

(C'est la fille de cultivateurs qui rigole.)

Anonyme a dit...

"Le camion sans sa remorque"
Pourquoi chercher l'abréviation ( genre américain) quand le texte chante comme celui de la Nomade des temps modernes.

Anonyme a dit...

Bonjour Sandra,

Juste une petite question:
Montréal-Laredo allez-retour, c'est combien de kilomètres ou milles?

Merci!

André.

camionneuse a dit...

Non mais... J'avais écrit des connes de sucre! J'espère que vous aviez tous compris que je voulais dire cône! Vous avez dû bien rigoler! ;o)

Jean, merci pour cette avalanche de compliments, Richard me jette un verre d'eau froide pour me désenfler la tête avant de sortir maintenant... Et puis les fautes... Surtout celle de connes de sucre, ça peut être bien drôle! Et merci pour le dictionnaire des terminologies, je le mets dans mes favoris. Haut-le-pied, j'aime ça, tracteur solo ou seul aussi, je les emploierai dans mes prochains textes.

Panthère Rousse, tu me ramène sur terre assez raide avec ta chaux éteinte... C'est franchement dégueux ton truc! Je ne mangerais jamais ça :(. Je préfère me bercer d'illusion et continuer de croire dur comme fer que j'ai mangé des tortillas au jus de lime. Oui oui, ça goûtait la lime! Tu ne m'en voudras pas de ne rien changer hein?

Équeuté comme une fraise, j'aime bien l'image Choubine!

F dB, on joue avec les mots et j'aime ça, contente de te savoir encore là, j'espère que tu n'attrapera pas la grippe aviaire, fait attention hein?

Panthère rousse a dit...

Sandra, c'est pas dégueu l'eau de chaux, ça rend un service essentiel. Voici ce que dit Wikipedia en anglais dans l'article sur les tortillas :
«Soaking the maize in lime water is important because it liberates the vitamin niacin and the amino acid tryptophan. When maize was brought back to Europe from the New World, people left out this crucial step. People whose diet consisted mostly of corn meal often became sick with the disease pellagra, which was common in Spain, Italy and the southern United States.»

Je résume : l'eau de chaux sert à libérer la niacine (vitamine B3) et le tryptophane, qui sinon ne peuvent pas être assimilés. Et les populations qui se nourrissaient principalement de maïs mais sans avoir compris qu'il fallait l'utiliser avec l'eau de chaux avaient souvent la pellagre, une maladie pas drôle du tout, causée par le manque de vitamine B.

La cuisine, c'est de la chimie, il ne faut pas l'oublier, et les ingrédients qui n'ont pas l'air «naturels» ne sont pas toujours des additifs inutiles. C'est comme le levain ou la levure qui déclenche un processus dans la pâte à pain, rendant la farine plus facile à digérer.

Et je suis d'accord avec Choubine que «partir sans la remorque» dit bien ce que ça veut dire, pas besoin d'expression spéciale. Bien que «équeuté», c'est pas mal, mais je pense que tes collègues masculins n'adopteront pas ce terme... ;-)

Anonyme a dit...

Ce qui m'a le plus surpris, c'est la grande différence de distance entre le trajet que vous empruntez et celui de MapQuest: Sandra (avec son "Street and Trip" de Microsoft) obtient un trajet de 3025 km, tandis que MapQuest arrive avec 2186,9 milles (soit 3519,4 km!), pour une durée de trajet estimée � 34 heures et 6 minutes par MapQuest! Donc, une différence de tout près de 500 km par trajet, soit tout près de 1000 km aller-retour par voyage! Étonnant!...

mat a dit...

a 0:35 tu passe a ville st pierre jai reconnue la ville :P