Quoi faire quand on ne peut rien faire?
Nous sommes passés maitres.
J’ai épuisé toute la crème à main disponible dans ma sacoche — se crémer les mains en hiver, ça fait changement de se tourner les pouces — et l’un n’empêche pas l’autre. Mon clavier n’est même pas graissé tellement ma peau boit.
Depuis le matin qu’on est là assis à la même banquette, l’un en face de l’autre avec nos ordinateurs branchés sur le monde pour fuir l’ennuie. À la télé du restaurant, le canal météo joue à longueur de journée témoignant en direct de ce que je vois en direct par la fenêtre givrée. Les autobus ne démarrent pas, et les enfants n’iront pas à l’école, ils les ont fermées. Ils conseillent, entre autres, de ne pas sortir si ce n’est pas absolument nécessaire, de ne pas faire d’effort physique dehors. J’applique les recommandations à la lettre.
Richard ne tient plus en place, sautillant et maugréant sur le siège rembourré comme un enfant qui crie — maman, on arrive-tu?
Alors, il est allé prendre une marche dans l’allée des chips, bifurquant dans la section « morceaux de chrome », visitant la section « Cb », fouinant dans l’allée des boissons sucrées pétillantes, évitant les frigos à crèmes glacées, fouillant toute la rangée des fluides pour camions gelés au cas où il y trouverait un miracle en bouteille à acheter, explorant la tablette des liquides pour faire briller et celle des huiles pour lubrifier, s’attardant devant les romans de cowboys et les livres audios, décourageant devant les films américains tout pareils.
Il a fini par succomber à une paire de mitaines pour touriste avec des feuilles d’érable rouge dessus, très chic à Winnipeg. C’était dans la rangée « vêtements pour camionneurs désespérés », avec les chemises et les bolos.
Il est même allé jusque dans l’allée des peluches pour enfants délaissés et celle des bibelots en cristal pour femmes de camionneurs esseulées. C’est ce que je suis maintenant, seule sur ma banquette de resto à regarder le froid pénétrer par la fenêtre et glacer le mur de cristaux.
Le nouveau truckstop de luxe (dans le monde du camionnage) de la capitale manitobaine (Flying J pour les connaisseurs) dispose d’une excellente connexion internet, sans-fil ou avec, nous étant destiné. C’est là qu’on est. Quelle chance dans notre malchance! Par contre, il n’y a qu’une seule table avec un branchement électrique et une connexion 100 mégabits dans tout le restaurant et c’est au bord de la fenêtre. C’est donc bien emmitouflés que l’on doit se relayer pour la garder. On l’a depuis le petit déjeuner, le souper arrive bientôt. Pendant que je clapote sur mon clavier à lire des blogues et à faire le mien, une petite brise constante qui passe à travers le mur vient faire greloter mon corps à l’état végétatif. J’ai gardé ma tuque bleu poudre sur ma tête et ma camisole de ski rose fuchsia dépasse de mon polar noir. À Montréal, j’aurais l’air d’une folle, mais ici, je dois dire, je passe totalement inaperçue parmi les spécimens de « fashionnista winni-pinguouine du frette » qui défilent comme si je me trouvais aux premières loges d’une parade de mode « spécial survie en hiver ».
Une femme fait son entrée avec ses grosses bottes de motoneige blanches, plutôt jaunies et tâchées, vêtue de pied en cap d’un survêtement de sport aux imprimés de camouflage de l’armée canadienne dans le désert au début de la guerre en Irak, couverte d’un manteau long vert paon aussi brillant que la dinde de luxe dont semble être fait le tissu. Un casque d’aviateur en fausse fourrure tigrée bien calé chapeaute le tout.
Un homme s’est présenté revêtant un manteau trop court cintré à la taille – qu’il n’a visiblement plus depuis longtemps — et un t-shirt formant une jupette – certainement très chaude pour les fesses — par-dessus ses pantalons de jogging au fond de culotte rapiécé milles fois, bouffant comme un habit de clown parce qu’ils sont rentrés dans ses bas blancs.
Une femme, mortifiée au fond de teint trop pâle et trop épais, arrive entourée d’une aura de fixatif infect, coupant l’appétit du plus affamé des camionneurs. Elle a mis ses plus beaux atours de saisons et son mateau de cuirette craquèle au frette.
J’en ai un peu marre de toute cette parade de mode hivernale, j’ai comme une envie de défilé de maillots de bain sur une plage de sable chaud tout à coup.
C’est à ce moment que je reçois un message instantané :
— Amène ta peau ma petite gercée, l’ambulance vient d’arriver!
Richard le coquin, s’est branché à l’autre bout du truckstop pour attendre les secours, il me faisait à croire, avec ses messages instantanés, qu’il était dans le camion, et moi, je ne pouvais pas aller vérifier s’il était en train de geler, j’aurais perdu notre table vous comprenez… C’est pleine d’espoir que je ferme tout pour rejoindre mi amor qui saura très certainement me réchauffer avec ses nouvelles mitaines. Et l’ambulancier pour camion saura ranimer Fuego, enfin, c’est ce qu’on verra…
La suite très bientôt!
12 commentaires:
Sandra,
Si, comme Richard vient de te l'annoncer, le docteur est arrivé et qu'il guérit Fuego, « La suite bientôt » risque de nous arriver dans plusieurs jours ! En effet, tu n'auras plus ta connexion internet à portée de main, comme c'est le cas depuis quelques jours...
En tout cas, si les nouvelles retardent, au moins on pourra se consoler en se disant que Fuego va mieux !
Si Richard peut perdre ses mitaines canadiennes...
Bonne route,
André.
Hello Sandra
Comme le dis si bien André je suis bien heureuse pour fuego et pour vous , en espérant qu'il dégèle rapidement le pauvre.Mais c'est vrais qu'on auras pas de nouvelles d'ici-la mais on se console en lisant les messages des autres.
Si fuego geler reprend vie je vous souhaite bon voyage de retour con cuidado y con Dios
Ben alors, ma pôv'dame... j'ose pas te dire que nous on a chaud, qu'on a mangé dehors à midi et qu'on dort mal tellement il fait trop chaud, même sans chauffage... je sais, c'est sadique !
Sérieusement, j'espère que Dr Truck a su trouver quoi faire pour réchauffer Fuego, pour qu'il retrouve tout son peps et puis reprendre la route.
Bisous et bonne année, c'est pas trop tard, non ?
Dans sa petite promenade, Richard ne s'est pas rendu jusqu'à l'allée des camionneurs adultes esseulés?!... :-))
Excellente ta description en direct de ton défilé de mode!... :-))
À certains points de vue, votre situation m'a fait remonter quelques réminiscences de la période du verglas de janvier 1998 par chez nous!...
Je le savais que le "vétérinaire" (Dr Hook) s'en venait "bientôt"!... À une certaine époque, le vétérinaire attitré c'était le Dr Ballard!... :-))
Autrefois, dans presque tous les pays du monde on était "protégé" par la feuille d'érable canadienne pour éviter de passer pour des Étatsuniens. Maintenant, ce n'est plus tout-à-fait vrai...
Bonne chance!
Très beau billet... et joli coup qu'il t'a fait, Richard. Allez, je souhaite prompt rétablissement à Fuego.
Coup donc, Sandra, veux-tu ben me dire ce qu'il y a pris, à Fuego, de se « geler » comme ça ? Vraiment, son comportement m'inquiète: tu sais, ces jeunes et leur goût des expériemnces nouvelles...
André.
Flying J !!! Bordel de place plate !!! J'y ai passé quelques minutes seulement à Vaudreuil près de chez Fuego...le jour où l'on s'est croisé chez CAT....cela faisait parti de mon "apprentissage" d'après monsieur Joly, mon patient instructeur. Une journée complète....oh calvaire, je meurt pour toi!!!
Fuego devrait venir se réchauffer en Georgie :) Pas certaine que les truck stop soient mieux (surtout côté parade de mode) mais au moins la température serait clémente ;-)
Bonne route :)
Ho, Ho, mon pauvre Denis faudras t'y faire ,un flying J cest mieux que rien quand t'as froid de plus c'est moin ennuyant que de rester a mourir de froid dans un camion sans chauffage, t'as beau vouloir t'occuper mais tu ne pense qu'au froid qui traverse tes vêtements.De plus ton patient instructeur M.Joly avait un p'tit coté femmes pour le magasinage alors il aimait bien ca aller dans les centre d'achat alors pourquoi pas un flying J.Il y a des endroits ou t'as qu'un dépanneur pour aller te rechauffer pi ca c'est quand les toilettes sont pas dehors.Particulièrement je préfère un flying J que rien. :))
Nathalie ...nathalie...Nathalie....M.Joly ne magasinait pas avec notre équipe, avec la tienne, il devait le faire pour te faire plaisir seulement...hahaha. Et bien sur si tu fais de la Gaspésie, tu as besoin de faire ton petit pipi avant de partir, autrement tu trouveras pas des tonnes de place pour stationner ta cariole....hahaha.!!!
un amical bonjour de France ...
je te lis toujours avec beaucoup d'intéret
Denis, Denis, Denis
c'est drole car c'est m.Joly qui entrait dans les centre d'achat et pas moi. Moi je voulais rouler pas magasiner.
Je t'avoue qu'il y a plus de place pour stationner mon mastodonte que tu peut croire, et des endroits il y en a, faut juste savoir ou ils sont c'est juste que j'aime pas faire mon ptit pipi (comme tu dis) la ou il y a pas de chauffage c'est tout .
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