02 septembre 2006

Vieux barils, bon whisky!

Contexte : Nous sommes repartis courir l'Amérique avec Fuego, cette fois pour Clarksville au Tennessee. Un voyage court pour notre équipe et sans histoire si ce n'est que nous n'avons pas arrêté de rouler pendant 20 heures et que nous sommes arrivés avec huit heures d'avance pour dormir un peu. Au matin, nous étions les premiers sur la liste de rendez-vous du client et en moins de deux, il a déchargé nos onze rouleaux géants de papier multicouche employé dans la fabrication de verres jetables. Fin prêts pour notre prochaine affectation, nous sommes vite repartis pour Charlestown en Indiana, à trois heures et demie de conduite. C'est là qu'on remplira le ventre de Fuego de fûts de chêne pour le compte d'une fabrique de whisky canadien.

Nous arrivons lentement à notre nouvelle destination, c'est la première fois que nous y mettons les roues. À l'autre bout de Charlestown, une petite ville bien ordinaire comme des milliers d'autres aux États-Unis, nous reconnaissons le client comme si nous y étions déjà allés à cause de l'empilade de futailles bien visible de la route. Les effluves raffinés du Bourbon nous montent au nez, les barriques en sont encore toutes mouillées.

Tandis que quelques Latinos-Américains se chargent d'empiler les tonneaux un à un en les faisant rouler dans la r
emorque, j'explore le terrain. Un chat tout maigre, de la couleur du caramel, comme s'il avait trempé dans un tonneau de liquide blond, se fraye un chemin parmi les tonneaux de bois. J'ai beau miauler pour l'amadouer, rien n'y fait. S'il avait su que je me serais départie volontiers d'un peu de mon goûter pour le flatter, peut-être aurait-il consenti à m'approcher? Il me regarde de loin avec ses yeux jaunes intrigués, mais dès que je m'avance, il prend la fuite entre les barils.


Richard explore de son côté quand je le surprends à respirer les vapeurs dans des barils! Ça sent bon! Un parfum incroyable, un mélange de miel, de caramel et de chêne mouillé. J'aurais voulu vous transmettre les odeurs virtuellement, pour quand le « blogodorant »?

Dans cette tonnellerie, on ne fabrique pas les tonneaux, mais on les répare pour les acheminer aux quatre coins du globe où l'on élabore des eaux-de-vie. Écosse, Angleterre, Philippines, Canada ne sont que quelques pays dont on m'a cité le nom. La petite entreprise de l'Indiana achète ses barils usagés des distilleries de Bourbon du Kentucky, là où l'on utilise les barils de chêne qu'une seule fois, au grand plaisir des distilleries du monde entier qui en tire profit en les obtenant à moindre coût déjà imprégnés de whisky pour bonifier le leur. Les barils considérés inutilisables pour les alcools seront vendus à des commerces de détail pour usages détournés par exemple comme jardinières de bois.

À l'intérieur du hangar sombre, dans l'un des seuls rayons de lumière, s'active un tonnelier dans toute sa splendeur. Le faisceau lumineux jette sur lui un éclairage théâtral, comme s'il était là pour donner un spectacle empreint de réalité. Je le salue dans sa langue et il me sourit candidement surpris que je l'aborde en espagnol. Dans ses yeux remplis d'espoir, je sens qu'il est doué pour le bonheur, il respire la joie de vivre. Ne serait pas heureux qui veut, à exercer un tel métier physique, peu valorisé et que j'imagine peu rémunéré. Il est venu aux États-Unis pour faire un coup d'argent pendant 2 ou 3 ans et rapporter ses rêves au Honduras. Je lui demande si je peux faire quelques photos de lui à l'oeuvre, son visage s'illumine d'enchantement que je m'intéresse à son travail. Il a la gentillesse de me montrer les rudiments de sa profession de tonnelier qu'il a acquise fièrement en un an.

D'abord, il examine chacun des tonneaux en les roulant sur le côté et avec une craie blanche, il marque les planches à changer. Certains nécessitent plus de cinq nouvelles pièces, d'autres qu'une seule. Avec une masse et une enclume, il donne des coups sur les cerceaux de fer pour les faire sortir. Le bruit du marteau frappant sur du métal m'assourdit un peu. Il laisse seulement une bague d'acier à la base pour tenir les précieuses douves odorantes ensemble. J'apprends que l'intérieur de chaque tonneau est brûlé, parce qu'une fois ouvert, je constate qu'il est tout noir comme du bois braisé. Le baril est encore tout mouillé de whisky, Eli se prend un menu morceau de ce bois noir pour le suçoter pendant son labeur. Une petite chose de la vie qui ajoute à son bonheur. Eli va se chercher des planches en bon état sur d'autres barils et les ramène près du sien qu'il fera renaître. Quand vient le temps de sceller le tout, il utilise un matériau dont il ignore lui-même le nom, ça ressemble à de la canne à sucre ou à du bambou. C'est malléable et il se sert de cette branche mouillée pour ajuster les douves du baril pour le rendre parfaitement étanche.
Eli m'explique tellement bien, que je pourrais presque commencer, moi aussi, le travail de tonnelière en suçotant un morceau de chêne brûlé imprégné de bourbon du Kentucky! Voilà ce que j'exprime à la blague au patron quand il arrive avec les papiers. Il rit, mais ne semble pas tellement d'accord avec moi... Camionneuse, ça convient beaucoup mieux pour une fille!

Pour une dernière fois, je salue Éli en lui souhaitant bonne chance dans la poursuite de ses rêves auprès des siens au Honduras.

Le chat me suit toujours entre les barils et je miaule pour lui dire au revoir. Peut-être osera-t-il m'approcher la prochaine fois? L'apprivoisement représente un travail de longue haleine dont je n'ai pas le loisir de pratiquer aujourd'hui. Vite, il faut rouler! Il y a du whisky canadien qui attend son lit de chêne pour s'y coucher quelques années et s'y bonifier. Voyez, ce qu'on est utile les camionneurs!

Fuego repart avec le ventre rempli d'effluves de bourbon, il est bien content, ça lui enlève les relents de caoutchouc dont il est imprégné! Et le voici posant fièrement devant des tonneaux à la distillerie de whisky canadien de Valleyfield au Québec.


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11 commentaires:

Anonyme a dit...

Il reste des petits douts de bois à '' suçoter '' dis?

Anonyme a dit...

Sandra,

Moi, contrairement au chat, non seulement je n'aurais pas pris une partie de ton lunch, mais je t'en offrirais pour avoir la chance que tu me flattes !

Surveille Richard, la prochaine fois il va s'aporter un canif pour manger le tonneau...

Bonne fête du travail,

André.

Anonyme a dit...

Sandra, encore une autre fois, avec les mots et les phrases "poético-narativo-descriptives" que tu utilises abondamment et si justement, nous n'avons pas besoin de «blogodorant». Quoique... en voyant l'expression si... captive (presque "angélique"!...) de Richard, on aurait quand même bien apprécié une petite "sniff" nous aussi, tiens!... :-)))

Elle est bien jolie aussi la photo du petit minou entre les tonneaux... peut-être lui aussi sous l'influence des effluves du sublime bourbon, grâce à sa présence assidue dans le coin!... :-)))

Avec tout ce que nous avons appris de nouveau aujourd'hui, nous allons nous coucher encore une fois moins "niaiseux" ce soir!... :-)))

Merci pour toutes ces belles leçons de choses, Sandra!

Anonyme a dit...

Hummm, Fuego doit sentir bon.

Éric a dit...

En te lisant, ça donne le goût de devenir camionneur! ;) haha! Me reste plus qu'à savoir conduire, et d'avoir un meilleur sens de l'orientation!

Anonyme a dit...

Ouais, si Fuego roule tout croche dans les semaines qui viennent, on va savoir pourquoi. Il est bien trop jeune pour prendre autant de "maudite boisson" d'un coup, voyons.

Anonyme a dit...

Encore heureux, à la réflexion, que les tonneaux n'aient pas été pleins!

Anonyme a dit...

Bravo pour ce texte qui nous emporte ailleurs et pour les très belles photos. En plus, le voyage se termine à Valleyfield que je connais et où j'ai des souvenirs lointains mais très chers à mon coeur ! Hum !!!
Fuego et aussi le nom que j'aurais choisi ! (Je n'ai pas pu voter, parfois j'ai beaucoup de peine à écrire un commentaire. Hier, impossible !)
Et merci de m'avoir mise dans ta liste de compagnons de route. Je suis touchée et très contente !
Bonne route et bisous !

Anonyme a dit...

Je vois deja Daniel qui essaie de faire des tonneaux....de melamine!!!

camionneuse a dit...

ça n'arrête pas les compagnons!

Pas le temps de faire autre chose que de dormir et de rouler...

Nous rentrons dès aujourd'hui, ce qui fait que nous devrions y être demain soir ou le lendemain matin (je ne sais plus quel jour on est!)

Je suis en ce moment reculé au quai de déchargement à Clarksville au Tennesse, là où l'on fabrique des verres de carton. J'ai trouvé une connection internet pour quelques secondes pour vérifier mes courriels.

Merci à tous vos commentaires, je suis très heureuse de savoir que vous êtes là!

Daniel, as-tu pensé à te faire brûler un morceau patte de table de chêne et à le faire tremper dans le whisky? Contrairement à Denis le camionneur, je ne te conseille pas la mélamine, c'est disons un peu moins savoureux...

André, tu sais bien que je te flatte toujours dans le sens du poil! regarde dans la marge de mon blogue!

Jean, je suis contente de t'instruire un peu, moi la camionneuse qui instruit un chargé de cours d'université! J'en apprends tous les jours!

Choubine chère marraine de Fuego, ton petit se porte bien!

Éric, allez! Lance toi! On cherche des camionneurs partout, même Cat je l'ai vu dans le journal de samedi. ;c)

Choubine, Fuego est déjà très responsable pour son âge, nous faisons son nez rouge!

Merci Léonor d'être des nôtres!

Bienvenue Morning around the world!

Denis, as-tu déjà essayé ça la mélamine? Me semble que ça goûte un peu trop la colle...

À bientôt!

J'ai un texte sur les cactus de l'Arizona qui sera prêt très bientôt... Je vous le mets dès que je rentre chez moi.

Pas le temps de me relire, vous m'excuserez, j'entends déjà le dernier rouleau qui vient d'être déchargé...

Sandra

Prof Malgré Tout a dit...

Une première pour moi sur votre (ton?) blogue. J'adore et la finale... mon père a travaillé pour Canadian Schenley toute sa vie... je suis donc de Valleyfield que je n'aimais pas. Tout ce que je peux dire sur cette ville c'est : "tu es noir? homosexuel? Déménage avant de te faire casser la gueule..." Ça joue dur dans cette petite ville où l'on cache tellement bien la pauvreté.

En passant... je suis caucasien, hétérosexuel mais assez lucide pour avoir quitté Valleyfield...

Super blogue, merci!!!