07 décembre 2005

Pit stop

Me voilà en Arkansas. C’est en bordure d’une sortie de la route que je me suis réveillée ce matin, Richard respirant doucement à mes côtés. C’est l’inconfort dû à la chaleur qui m’a réveillée. Non pas la chaleur extérieure, mais plutôt celle de l’habitacle surchauffé par la génératrice. Dehors, quand je suis sortie inspecter le camion, les roues arrière trempaient dans une flaque d’eau où des cristaux de glace flottaient tranquillement dans la boue.

Il est quatorze heures, la température atteint 15 degrés déjà. Il fait vraiment bon dehors. Nous nous sommes arrêtés une quinzaine de minutes vers treize heures pour mettre du carburant et pour changer de chauffeur.

Depuis quelque temps, le prix du carburant est exorbitant et le dollar canadien est fort. La combinaison des deux facteurs fait très mal à la compagnie qui a décidé de prendre le taureau par les cornes. Elle s’est dotée d’un système de surveillance de prix automatisé par le réseau internet. Les informations spécifiques de chacun des camions de la flotte lui sont transmises par satellite. Cette machine hyperperformante adapte les informations recueillies, pour les quelques 350 camions qui vont dans toutes les directions de l’Amérique du Nord. Nous recevons automatiquement un itinéraire de ravitaillement dans notre ordinateur de bord relié par satellite. La quantité exacte de pétrole à acheter y est indiquée. Cette fois, l’ordinateur nous a fait arrêter dans un truck-stop appelé " Loves " à Prescott en Arkansas. Un truck-stop nommé amour… Peut-être pour apporter un peu de réconfort au cowboy des Temps modernes que nous sommes... Pour ce faire, ils ont mis des cœurs partout : un immense rouge au-dessus de l’insigne visible à plus d’un kilomètre, des dizaines sur les bannières jaunes coiffant l’édifice et les baies de ravitaillement, trois rouges et oranges sur chacune des pompes. C’est vrai que c’est dans les truck-stops que l’on trouve le réconfort pour satisfaire tous nos besoins : manger, dormir, se ravitailler, se laver, se reposer, se divertir, se brancher sur internet.

Nous ne devons pas être les seuls à avoir ce système de vérification de prix : il y a une queue de plus de trois camions par pompes. Une rangée de camions qui ont terminé de remplir à l’avant des pompes, une autre qui est en train de faire le plein et une dernière qui attend patiemment que les autres avancent pour pouvoir faire la même chose. En attendant en ligne aux pompes, le chauffeur d’à côté mange sa soupe, assis au volant. Un autre se dégourdit avec son chien : je ne sais plus qui promène qui !

Selon le message reçu, on devait mettre exactement 63 gallons alors qu’on peut en mettre jusqu’à 300. Les pompes sont ultrarapides comme dans les " pit-stop " de F1. Pendant que le carburant giclait dans les réservoirs, Richard a lavé les miroirs, le pare-brise, et rempli le réservoir de lave-glace. À son retour, il y avait déjà 90 gallons ! De toute façon, c’est mieux d’en avoir un peu plus pour les impondérables : le vent, le poids, le froid, le trafic, les nuits de repos avec la génératrice en marche.

En moins de cinq minutes, tout est rempli. Chaque chauffeur possède une carte de crédit adaptée au besoin du métier, et un code personnel ainsi que le kilométrage du camion activent le pompage du jus malodorant. L’odeur est en effet persistante et on doit absolument éviter d’entrer en contact avec une goutte parce qu’il y en a pour des jours à empester. C’est d’ailleurs une des raisons pour laquelle Richard a pris l’habitude de faire cette tâche. J’ai déjà échappé la pompe en marche, j’avais du fioul plein les cheveux, ça dégoulinait dans mes yeux et sur tous mes vêtements… Je venais de prendre ma douche avec des vêtements propres et j’ai dû tout recommencer. Mon manteau en goretex en garde encore des traces après de nombreux lavages. J’avais aussi suspendu mes vêtements rincés à l’eau chaude entre le camion et la remorque. En roulant, ils se sont envolés au vent… C’était il y a cinq ans. Il y a des souvenirs qui vous imprègnent littéralement ! Depuis cette mésaventure, je porte mon uniforme pour ne pas gâcher mes vêtements personnels et je remplis le camion comme un chat échaudé.

Allez! Je reprends le chemin...

5 commentaires:

Anonyme a dit...

C'est-tu pas épouvantable. Même pas capable d'avoir le loisir de faire le plein.

Sincèrement, c'est très bien écrit et intéressant.

Jonathan

camionneuse a dit...

C'est même génial de m'affairer dans le camion pendant que Richard gèle ou crève dehors... Il faut dire que je mets du carburant le matin, quand c'est mon tour, et quand Richard dort, mais chose étrange, ça n'arrive pas très souvent...

Anonyme a dit...

Je viens de découvrir ce 31 août 2007 votre blogue grâce à un pointeur du Figaro électronique . J'ai décidé de le lire depuis le début. D'autant mieux que vous en avez commmencé l'écriture au moment où ma douce moitié et moi avions entrepris une grande tournée nord-américaine de 22,000 km sur 6 mois avec notre Toyota d'occasion (et avec beaucoup d'arrêts il est vrai...). C'était une promesse qu'on s' était faite il y a 33 ans pour la faire au début de notre retraite... Pourquoi 33 ans? Simplement parce que la naissance de notre fils nous avait empêché de l'entreprendre à cette époque... Mais notre fils demeure toujours pour nous notre plus belle aventure...

Dejà donc une chose en commun, une date de départ : Janvier 2005. Et une autre chose : l'amour d'une langue bien écrite . Même le mot "fioul" à la française vous l'utilisez. Je vous promet que vous serez publiée un jour, y compris en France où j'y passe lmaintenant la moitié de ma vie de retraité

Une autre chose en commun: " Le Comte de Monté Cristo". Lu et relu 5 fois dans une vieille édition Garnier, dont j'avais découpé toutes les pages à l'époque. C'est un roman très moderne déjà. On y parle de technologie (le télégraphe), de drogues, (Hachih et autres), d'homosexualité féminine, de manipulation financière, de mondialisation, de peoples (pipels) de guerre au Kesovo (Albanie...), de modernité quoi. Et puis ce roman a un style de la langue parlée qui n'a jamais cessé de me charmer.

Je ne sais pas si vous lirez ce commentaire si tardif de ma part après tous les autres (que je n'ai pas lus). Mais je vous en prie, ne faite pas disparaitre votre blogue du Net. Je veux le connaitre et le faire connaitre. Même si vous avez du l'interrompre

camionneuse a dit...

Cher Papyboomer,

C'est avec plaisir que je lis votre commentaire. Vous pouvez aussi me joindre par courriel.

Anonyme a dit...

Moi aussi j'ai découvert ce blog par un pointeur du figaro ce matin(je suis une lectrice belge). Votre parcours me fascine.
Ne fermez pas ce blog.
Quant à la lecture, Zafon un 10/10 que j'ai dévoré en moins d'une semaine et Ensemble c'est tout, un magnifique livre d'humanité tout simplement.
A bientôt j'espère
Bonjour de Bruxelles de l'autre côté de l'océan :-)