03 juin 2006

Une longue Traversée.


Windsor, Ontario - Detroit Michigan.

2 h 10 minutes. Richard me tire de mon sommeil paradoxal avec le plafonnier. Il s’arrête à la boutique sans taxes de Windsor le temps que je m’habille et que j’aille aux toilettes pendant qu’il ramasse un café. C’est la seule chose de gratis ici, autant en profiter! D’ailleurs, je renommerai cette boutique hors taxes « boutique hors de prix ». Ils enlèvent les taxes, mais ils gonflent les prix. Le chocolat noir à 85 % est à 5 $, alors que je l’obtiens à 3 $, parfois même 2 $ quand il est en rabais en ville. Je repasse dans la rangée des alcools forts et des chocolats qui se disent fins incluant les M & M. Mais je ne peux m’empêcher de bifurquer vers les parfums pour aller me remplir le nez d’une fragrance inconnue. Un nouveau Kenzo est sur les rayons et il m’appelle de ses vapeurs. Je plonge mes narines endormies dans la délicate bruine odoriférante pour mieux me réveiller. — ça pue! Trop artificiel, sans subtilité, trop poudré, trop, trop. À cette heure, je manque de vocabulaire pour dire que l’odeur ne me plaît pas. De toute façon, je préfère acheter aux petits postes frontaliers qui ne sont pas au courant qu’on vend le 75ml de Kenzo chez Ogilvy à Montréal à 230 $. J’ai eu les 200ml pour 37 $ à Alexandria Bay dans l’État de New York. (Imaginez comment je me sens toutes les fois que je me parfume : je me « pouitch-pouitche » des économies!)

Ça me fait du bien parfois de me retrouver dans un magasin où l’on vend autre chose que de l’huile à moteur et des morceaux de chrome pour soi disant embellir un camion parmi les bonshommes qui ont juste hâte que je me penche sur un produit pour me reluquer le derrière au grand amusement et désespoir de Richard.

Trêve de frivolités de luxe, on remonte dans notre « chalet roulant » sans rien avoir acheté de tous ces faux bonheurs en bouteille trop chers pour ce qu’ils valent.

Richard embraye sur le pont qui sépare les deux pays. Dans la rivière Détroit, les deux villes illuminées apparaissent comme des feux d’artifice. La cime des gratte-ciel de la capitale de l’automobile est autant brouillée par le smog que l’est son reflet dans l’eau. Comme un présage de déclin, le logo de General Motors, trônant au pinacle de l’édifice dominant la ville, est voilé par la pollution causée en grande partie par ses succès passés. Le phare de Windsor tourbillonne dans le ciel comme un cerf-volant fantôme. La plus gros poste d’entrée aux États-Unis fourmille de camions. À 2 h 20 minutes, des douze guérites pour voitures, seulement deux sont ouvertes, mais vides. Alors que du côté commercial, huit guérites sur quatorze sont ouvertes, mais la queue très longue. La file s’immobilise, les camions attendent, les feux des freins s’allument et s’éteignent en intermittence. Le nom en rouge du pont Ambassador trône au sommet d’une de ses deux pointes illuminées. Un mur de cinq mètres de haut entoure le poste frontalier et des gros spots halogènes éclairent le territoire gardé comme à la tombée du jour. Les camions jouent du volant pour s’insérer dans la file qui sera la moins longue. Lorsque la ligne est choisie, il n’y a plus moyen de changer, la remorque est trop volumineuse pour faire des coups vites comme en voiture. Nous sommes tous en compétition et c’est à savoir qui sortira de là le premier. Richard jette son dévolu sur la noria la plus courte. Les tempes nous bouillonnent et les mâchoires nous serrent quand on remarque les camions nous dépasser de chaque côté. Les autres files sont cinq fois plus rapides! Nous restons plus de 20 minutes immobiles avant de rencontrer l’agent dans sa guérite. Malgré ses cheveux gris, sa surcharge au niveau ventral, et son deuxième menton pendouillant sous l’effet de la gravité, c’est un apprenti. Il n’a rien à voir avec un jeune nouveau tout droit sorti d’un entraînement physique intense, bâti de muscle et d’acier, le torse bombé comme un coq. Deux autres inspecteurs des douanes le côtoient pour l’aider dans son nouveau boulot. Il pitonne au doigt sur son clavier et pose des questions nerveusement. Il est vraiment nul, mais nous sourions pour qu’il ne s’aperçoive pas trop de ce qu’on pense. La douanière derrière lui lève souvent les yeux au ciel par découragement. On se dit : — on a été gentil, ça va bien passer... On reste 10 minutes immobiles devant lui, le temps qu’il comprenne tout ce qu’il fait avec ses touches. Notre sourire crispé, artificiel et complaisant ne lui a pas plu... il nous envoie aux rayons X. En serrant les dents, nous continuons à sourire tout en nous répétant qu’il est con sans remuer les lèvres. Là nous attend une autre file. Dans le nouveau garage où l’on ausculte les camions à coup de radiation, nous passons un à un comme au lave-auto. (Au texte « armer nos douaniers? », la photo représente le camion qui ausculte aux rayons X. On lui a désormais construit un garage.). J’ai toujours eu peur de ces rayons, mais la douanière qui se tient juste à côté du sigle international jaune et noir de la radioactivité n’a apparemment aucune crainte. Mais allez donc savoir si elle ne périra pas d’un cancer causé par son exposition prolongée... Elle reçoit le signal dans sa radio que les rayons débuteront dans cinq secondes, le bras levé je lis sur ses lèvres le décompte five, four,... elle descend sont bras comme dans une course de voiture, three, two, one, le rayonnement s’amorce, un bip aigu en témoigne. Richard avance lentement jusqu’au bout du hangar. Heureusement, ils lancent les rayons seulement à partir de la couchette nous évitant l’exposition. Quelques secondes plus tard, nous sommes relâchés comme des criminels acquittés, fins prêts à poursuivre notre « road trip » qui n’est pas toujours des plus trippants. Il est 3 h 30 minutes. Je ferme les rideaux derrière les sièges et je me rallonge sur la couchette, les rêves sont longs à venir. 7 h 30 minutes, Richard, qui est allongé à côté de moi, me pousse — allez! Va gagner notre vie! Me dit-il tout endormi en regardant sa montre. Lui qui nous l’a gagnée jusqu’à 4 h 30 min. Mais la vie est dure à gagner quand on manque de sommeil! Un petit café et Hop! Nous voilà repartis!

12 commentaires:

Anonyme a dit...

Sandra, tu m'étonnes toujours et encore, sans arrêt, de jour en jour, de texte en texte: où vas-tu donc chercher ces mots, ces expressions, ces tournures de phrases qu'on ne voit nulle part ailleurs?!... Jusqu'à maintenant (à ce que je croyais), seuls les écrivains professionnels chevronnés, aguerris, seuls les maîtres ou docteurs ès lettres pouvaient se le permettre. Mais maintenant, c'est aussi l'apanage de notre camionneuse préférée, Sandra, qui se le permet elle aussi!... Bravo! J'en suis encore une fois bouche bée...

Autre sujet. Je suis très très désappointé, déçu: j'ai totalement raté le reportage de Dominic Arpin. Par mesure préventive, j'avais programmé mon magnétoscope pour vendredi 18h à TVA au cas où je ne serais pas à l'écoute. À 17h21, je reçois un appel téléphonique de mon fils me disant: "Je pense que j'ai vu un reportage à TVA sur la camionneuse que tu connais." Après quelques échanges bilatéraux d'indices de plus en plus précis, j'admets donc que c'est en plein ça!... Ça devait pourtant passer aux nouvelles de 18h!... (C'est que, voyez-vous, les nouvelles de 18h sont maintenant rendues à 17h, suivies des nouvelles de 18h!...) Je persiste quand même à regarder le 18h jusqu'à la fin. Point de reprise dudit reportage... Je "switch" sur LCN (au cas où), jusqu'à 21h. Point de Dominic Arpin et son invitée. Je dois alors sortir de la maison (pour aller me ravitailler l'estomac!). Je reprogramme donc mon magnétoscope sur TVA pour les nouvelles de 22h, puis sur LCN jusqu'à 3h (au cas où!...). Ce soir, je fais un retour arrière de la vidéocassette jusqu'au début, puis une lecture du début à la fin (sur avance rapide, tout de même!). Rien! Encore et toujours rien!... Pas vu le reportage de Dominic Arpin sur notre camionneuse favorite!... Conclusion: à ce qu'il me semble donc, ledit reportage ne serait passé qu'une seule fois, à TVA, vendredi, entre 17h et 17h20... Tant pis pour ceux et celles qui, comme moi, l'attendaient pour 18h!... :-(((((

Anonyme a dit...

"le logo de General Motors (...) est voilé par la pollution causée en grande partie par ses succès passés."

Quelle trouvaille, Sandra! Sublime!

Bonne route vers le soleil! :)

Anonyme a dit...

Bonjour Sandra,

Ce qu'il est beau ce texte. Tes images sont très belles et toujours percutantes. Rien n'est de trop et il me manque rien. Je me souviens d'une de tes phrases, à la suite de l'un de mes commentaires: « Pas trop de fleurs, André, le pot suivra...»! Eh bien, non seulement n'y avail-t-il pas trop de fleurs cette fois là, mais il en manquait beaucoup et ce texte, comme plusieurs autres depuis, en est la preuve irréfragable.

Jean,( de Sainte-Julie )

Tu n'es pas le seul à avoir manqué le reportage, nous sommes au moins deux. Par contre, samedi ( hier ), j'ai écrit à Dominique Arpin à ce sujet. Il m'a répondu très rapidement et de façon très courtoise pour me dire que, d'ici une semaine, tous ses reportages, dont celui sur Sandra, seraient accessibles sur son blogue. Ça , c'est une bonne nouvelle, surtout que l'été, je n'ai pas coutume de river mes « yeux cerclés d'écailles » ( Tintin en Amérique ) au petit écran, encore moins le vendredi à 17 ou 18 heures...

Nous pourrons donc voir le reportage sur la « Camionneuse » et, comme pour le fruit en fermentation, l'attente pour voir ce reportage fera en sorte que nous l'apprécierons encore davantage.

Bonne semaine,

André.

Anonyme a dit...

Merci, André, pour ta démarche auprès de Dominic Arpin à propos du reportage. Probablement que notre camionneuse préférée a reçu une information légèrement inexacte qu'elle nous a refilée telle que reçue... :-((

Et en option, une fois que le fruit aura suffisamment fermenté, rien ne nous empêche de le gazéifier légèrement pour y ajouter quelques "bubulles" et nous pourrons alors déguster un beau et bon champagne!... :-)))

camionneuse a dit...

Salut les fleuristes!

J'ai raté le reportage moi aussi! Même ma famille l'a manqué! Je suis vraiment désolé de vous avoir induit en erreur, j'ai pris pour acquis que c'était dans les nouvelles... Mais comme je n'ai pas allumé la télé depuis des mois, j'ai perdu l'habitude des horaires! Mais c'est une chance que Dominic Arpin mettra ses reportages en ligne. Je mettrai un lien dès qu'il apparaîtra.

Merci de votre support

Sandra

Anonyme a dit...

Ah!!Ben!!! Moi je l`ai vu ton reportage Sandra avec mon chum qui est lui-meme camionneur.C`était tres fascinant de voir le camion avance...en gros plan...je suppose que c`est cette partie la que Dominic avait depose sa camera parterre...pis qui courait comme une araigné...

Bonne semaine et surtout bonne route !!

Rachel

Anonyme a dit...

Sandra,

D'accord, nous sommes « tes fleuristes ». D'ailleurs, je la trouve bien bonne!

Mais, en prenant pour acquis que les fleuristes connaissent les fleurs, alors permets-moi de te dire que tu es la plus belle fleur de la blogosphère. Et, semblet-il, nous serions plus ou moins 20 millions à déambuler dans ce monde virtuel et, parfois, vertueux du blogue!

Cette fois-ci, tu dois prendre ce compliment au sérieux: rappelle-toi,tout comme Jean, je suis fleuriste, c'est toi qui en a décidé ainsi. Et c'est tant mieux!

Je te souhaite une excellente semaine,

André.

Anonyme a dit...

Chouette, chouette si le reportage va être bientôt en ligne.

Celle qui va a dit...

Je viens de te lire et crois moi j'étais avec toi, à côté de toi dans le camion, j'ai tout vu, tout senti, tout ressenti. Tu écris merveilleusement bien et ... je ne suis pas fleuriste et je suis touchée.

Freedom Trucking a dit...

boutique hors de prix ...est bonne en ... c'est bien vrai y a aucun deal a faire la...surtout cette boutique hors-taxe que tu parle c'est la plus $$$!

camionneuse a dit...

Merci France... C'est très utile de se faire réveillé à 2h de la nuit pour traverser, ça inspire d'être à demi éveillée.

Jean, Champagne! tiens, je vais aller me gazéifié un jus de raisin (il en reste depuis la venue de mon neveu)

Rachel, tu sembles être la seule à l'avoir vu, pauvre de nous!

Celle qui va: Merci fleuriste, tu me touches ;c)

Phil: Comme ça RD, c'est ton frère qui se trouve à être mon oncle! Contente de vous savoir à bord mes mononcles! Tu crois que je serai prête à publier pour les fêtes? Enfin si je pouvais écrire aussi vite que je roule, peut-être...

Anonyme a dit...

Allo,
Je suis un récent lecteur de ton blog que j'adore.
Je viens de terminer de tout lire.
J'Ai hâte à la suite!!
En passant, je pensais que tu aimerais cet article, je trouve qu'il va bien avec tes commentaires sur la boutique hors-taxes.
http://argent.canoe.com/lca/chroniques/horstaxes/archives/2006/06/20060616-151402.html
Bonne journée
Francois