31 mars 2006

Les fleurs de Lawton.


Sur la route 287 au nord du Texas, un marcheur se retourne pour savoir si je vais l’embarquer. Il m’envoie la main, il se doute bien que je ne peux pas, sauf virtuellement, comme vous. Des ballons survolent l’autoroute, c’est souvent signe qu’il y a concessionnaire automobile en dessous, au pays du 4x4. Fraichement douchée, j’en profite pour me faire sécher les cheveux en me sortant la tête par la fenêtre. Il fait un beau soleil, la lumière fait vraiment un bien immense après un long hiver.

À Wichita Falls, je bifurque sur l’interstate 44. C’est là que la 44 débute et nous parcourrons ses 630 miles (1113 kilomètres) jusqu’à St-Louis au Missouri. Pendant près de 12 heures, nous n’aurons pas à changer de route sauf pour aller chercher notre remorque.

Je traverse la Canadian River qui n’a rien du Canada, mis à part sa couleur rouge comme les falaises en Gaspésie. Elle n’a plus rien d’une rivière, elle est presque asséchée à l’année.

Un Hummer se dirige vers le sud pendant que je franchis la frontière de l’Oklahoma.
Une vache broute je ne sais quoi sur un champ de bouette. Une autre essaie de s’attraper la queue les pis gonflés à bloc, le ventre débordant :

-- Allez ! Sort de là qu’elle semble dire au veau en son sein.

Au loin, j’aperçois les montagnes de Lawton qui me font penser aux Montérigiennes de chez nous. Elles surgissent dans une plaine, sans que l’on sache trop pourquoi, comme le mont St-Hilaire ou St-Bruno dans les basses terres du Saint-Laurent près de Montréal. Le paysage est morne et plutôt monochrome. Sur la rue principale de Lawton, poussière et désolation. Nous devons traverser tout le bled pour arriver chez le client. Au bout de la ville, on tourne à gauche sur un chemin de gravier et là on entrevoit les remorques. C’est tellement poussiéreux, qu’il faut fermer toutes les trappes d’air et les fenêtres. J’attends qu’un peu de poudre retombe avant de descendre du camion. Tandis que Richard se dirige vers le fond de la cour pour faire l’échange de remorques, je vais dans le bureau pour les papiers. C’est une vielle maison mobile de tôle à laquelle on a rabouté deux bicoques distinctes pour faires d’autres bureaux. Sur le toit, des pneus maintiennent la couverture en place par grand vent. Je monte sur la galerie de bois où se bercent, au gré de la brise, des chaises empoussiérées. Un faux crâne de vache est au sol pour rajouter au côté lugubre.

J’entre sans frapper, mais en faisant tout de même du bruit, pour ne pas trop surprendre les tenanciers. À l’intérieur, Janna m’accueille, son sourire parrait si brillant dans ce paysage si terne.

-Where have you been?

Dans cette roulotte miteuse, elle rayonne. Elle est l’âme de l’endroit, elle a mis des fleurs sur ses crayons et dans leur pot, ils forment un bouquet de couleur contrastant avec les murs jaunis en faux bois. Derrière elle, un laminé de Van Ghog est accroché sous un plastique.

Hugo, le chauffeur puerto-ricain de la cour, est sorti de sa léthargie :

-Look who’s there! Dit-il à Charley le chien roux avachi sous le bureau.
La chaleur saisonnière commence à l’accabler.

Janna travaille efficacement sans perdre sa joie de vivre. Je choisis une tulipe de soie rouge dans le vase et je signe les papiers. J’écris les renseignements nécessaires à la télécopie et appose le code à barres qui identifiera le chargement à la frontière. Elle réécrit avec son feutre mauve les informations importantes pour être bien certaine qu’elles seront visibles au courtier en douane du Canada. En attendant la page de confirmation, elle me montre mon blogue traduit entièrement en anglais. Je suis très impressionnée par l’outil de Google qu’elle me fait découvrir. C’est vraiment magique ! Elle nous suit comme vous sur la Toile, même si elle ne parle pas un mot de français.

La preuve de réception arrive et elle vérifie minutieusement que tout est envoyé à l’endroit approprié : elle coche avec le même feutre mauve le numéro de télécopieur ; le nombre de pages ; l’OK et elle me remet le document en me souhaitant une bonne route.

Charley me talonne jusqu’au camion que Richard s’affaire à inspecter. Je lui donne un bout de carcasse de poulet qu’il prend jalousement dans sa gueule et va porter plus loin pour être bien sûr que je ne le lui reprendrai pas.

Dans un nuage de poussière, nous quittons Lawton avec à nos trousses, Charley courant dans la nuée, tout souriant, la langue pendue. Dans les rétroviseurs nous le voyons s’arrêter et japper comme pour nous dire : au revoir, et merci pour la volaille !

Cap Nord-Est, le Canada est à moins de 24 heures de conduite.
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12 commentaires:

Anonyme a dit...

Sandra,

Ce récit est vraiment fort agréable à lire.En lisant la dernière ligne, j'ai presque eu le réflexe de nettoyer mon manteau et mes souliers, tellement la poussière que tu décris semblait réelle et envahissante.

J'aime beaucoup cette partie de notre voyage, le paysage est tellement différent!

Bonne émission!

André.

Anonyme a dit...

Encore une fois, Sandra vient de nous "pondre" un magnifique texte, qui se lit agréablement, d'une seule traite. Ses phrases narratives et ses termes descriptifs sont tellement justes et précis qu'il nous est étonnamment facile de voir ce qu'elle voit, d'entendre ce qu'elle entend, de sentir ce qu'elle sent et même de goûter ce que... Charley goûte!... :-)) Sandra nous emmène vraiment avec elle, même si ce n'est que virtuellement!...

Je n'ai jamais entendu la voix de Sandra, mais en lisant son texte, j'essayais d'imaginer Sandra elle-même lisant sa prose littéraire à haute voix à tous ses passagers devant, derrière et à côté d'elle, pendant que Richard se chargeait de mener "notre" lourde barque rouge vif à bon port. Pour cette circonstance spéciale, Sandra emprunte alors sa voix grave, presque caverneuse, avec un débit plus lent que rapide, un ton posé et calme, une intonation juste assez dramatique (pas trop cependant!), un minime trémolo dans la gorge et finalement avec un léger accent, tout léger... du Lac!... :-))

Merci, Sandra, pour ces grandes évasions et surtout pour ces doux instants de bonheur que tu nous offres si généreusement!... Ça fait partie de la variété des baumes dont mon coeur est si avide depuis quelques mois... Merci...

Anonyme a dit...

Voici, pour l'édification de tous, la "traduction" du premier paragraphe de ton billet, fraîchement exécutée par Google (c'est presque aussi drôle que ce qu'il fait de mes textes) :

"On road 287 in the north of Texas, a walker is turned over to know if I will embark it. He sends the hand to me, he suspects well that I cannot, except virtually, like you. Balloons fly over the motorway, it is often sign which there is concessionary car below, with the country of the 4x4. Fraichement douchée, I benefit from it to make me dry the hair while leaving me the head by the window. It makes a beautiful sun, the light makes really an immense good after a long winter."

Je suis touchée par l'amitié de Janna et par sa naïveté, à moins que ce ne soit son sens de l'humour, mais franchement...

Il y a bien longtemps que je n'y crois plus, aux vertus de la poudre de perlimpinpin.

camionneuse a dit...

Merci André,

J'espère que tu vas mieux côté grippe et que ce n'est pas moi qui te l'ai transmise virtuellement.

Jean, on dirait que tu nous décris ton autobus ! Et puis faut pas trop exagérer, je n'ai pas de talent théâtral...

Choubine,

Voici une preuve que tu es irremplaçable ! Et je sais bien que ce n’est pas le robot de Google qui va faire le boulot que tu fais magnifiquement bien. Je ne m’attendais pas à moins de toi qui est si méticuleuse sur les mots. C’est sans doute cet outil qu’utilisent les Chinois pour traduire leurs produits.

Pour ma part, j’ai été surprise de voir mon site entièrement transformé (charcuté, bousillé, rogné…). Mais malgré tout, Janna pourra reconnaître son chien que je parle de ses fleurs et de son laminé de Van Ghog. Pas de doute qu’elle aura plus de questions la prochaine fois que je la verrai!

Anonyme a dit...

Flattery will lead you nowhere, Sandra. La traduction, c'est un vrai métier, un métier qui a ses exigences particulières; et je dirai carrément, puisque cela me tourneboule depuis hier soir, qu'il faut en avoir une piètre opinion pour vanter la "magie" de Google.

Mais j'ai déjà été terriblement ignorante de ce qu'est la traduction, je ne dois pas l'oublier. Voici donc, pas seulement pour toi mais pour tous ceux qui sont du voyage et que cela pourrait intéresser, un lien menant au carnet Web d'une traductrice qui cite là-dessus le texte d'une collègue anglophone : http://www.andreanne.net/blog/index.php?2006/03/08/231-translation

L'exposé est en anglais; mais le paragraphe de présentation - en français - pose très bien le problème.

Une mauvaise traduction, une traduction inintelligente, mot à mot, cela ne saurait favoriser la compréhension - pas plus entre les personnes qu'entre les peuples. Janna peut compter sur toi pour lui expliquer ce qu'elle n'aura pas compris, pour dissiper tout malentendu, c'est bien; mais les autres? Mieux vaudrait qu'ils se contentent de regarder les images. Une vraie traduction n'a pas besoin qu'on l'explique. Une vraie traduction se lit comme le texte original - se lit mieux, parfois, que le texte original.

Ils sont nombreux, au Canada, les vrais professionnels de la traduction. Je n'en connais pas qui s'extasieraient devant le charabia pondu par Google. Il n'y a pas que la vitesse qui compte; il faut aussi arriver à destination, sans trop de casse.

Anonyme a dit...

Salut.

Je viens de lire ton texte parlant de toutes ces heures non rémunérées que nous passons, ainsi que de la sensation que l'on ressent à être en attente, "attaché au camion à un endroit qu'on n'aurait pas choisi" (et qu'en plus ce soit considéré comme du temps de repos!). Bravo!

Signé: un camionneur heureux malgré tout!

camionneuse a dit...

Choubine

C'est vrai que c'est un peu fort dans mon texte. Je n'avais pas vraiment pris le temps de lire ce que Google avait craché, seulement quelques mots et ça m'avait paru formidable.

Ma première opinion était piètre certes, mais c'était une première impression, pas une analyse profonde de l'outil. C’est comme ça que ça ce passe sur la route, je n’ai pas le temps de tout lire et de tout analyser. Je ne voulais pas vous faire grimper dans les rideaux, surtout que vous êtes plusieurs traducteurs à me lire.

Loin de moi l'idée de remplacer les traducteurs. Mais nous n'en avons pas tous un à portée de main, ni à porter de bourse pour traduire tous les documents que l'on lit.

Selon le texte trouvé sur le site d’Andréanne, vous êtes comme des diplomates entre deux cultures, alors j’imagine mal un robot devenir diplomate.

Il y a Bruno, un traducteur, qui m'a un jour écrit en faisant la comparaison entre un traducteur et un camionneur : « (…)entre 2000 et 3500 mots dans la journée à raison de 200 ou 300 mots à l’heure l’équivalent de plusieurs centaines de km à avaler. Certains jours ça roule comme par un bel après-midi ensoleillé au Montana, et d'autres comme par une interminable nuit de brouillard quelque part dans le Nord de l'Ontario ! ». Écrire que j’avais été impressionnée par l’outil de Google ne vous enlève rien. Je sais bien qu’il est loin le temps où les ordinateurs pourront traduire toutes les subtilités des langues.

Et les flatteries… je les pensais ! Ça prend quelqu’un de méticuleux pour faire un blogue comme le tien. Pas une ne t’échappe…

Anonyme a dit...

Entre 2000 et 3500 mots dans une journée? Ouache... Disons que je roule à bicyclette, sur les petites routes de campagne. Au menu, des fraises, des pissenlits et des grains de poussière. (Et dans mon panier, peut-être bien des petits gâteaux pour mère-grand.)

Anonyme a dit...

N'oubliez pas d'attacher vos tuques (avec de la broche si possible),car un très grand nombre de tornades rôdent dans vos parages ces jours-ci!.. :-))

Anonyme a dit...

Sandra,

Je te remercie d'avoir pris le temps et la peine de faire un petit détour par chez nous. J'apprécie beaucoup!

André.

Anonyme a dit...

Sandra,

Je me suis endormi un peu. Et comme vous conduisez bien, je ne sais pas si nous sommes partis...

Rappelle-toi que je suis installé loin des fenêtres. Alors, où sommes-nous présentement?

André.

Anonyme a dit...

Salut Sandra,

Je lis ton blogue de plus en plus régulirement, j'aime bien ta plume.

Tu dois savoir qu'au départ ma conjointe m'avait envoyée un lien me conduisant à l'entrevue que toi et un groupe de commionneurs a fait avec Marie-France Bazzo(indicatif present).Le but était de me découragé de vouloir conduire un camion. Je suis technien en informatique, je rêve d'être au volant d'un de ces mastodonte depuis aussi longtemps que je puisse me rappeler. Autour de moi, on me dit, "C'est dur" ..."Tu vas ëtre assis toute la journée" ...je suis déjà assis toute la journée, pis c'est pas facile de gérer les systèmes de grosses compagnies...comme si être assis devant un ordinateur était facile.

C'est décidé, le 18 avril, j'ai une rencontre d'information au CFTR de Mirabel et s'est un peu grace à toi et Richard.

Notre route se croisera peut-être un jour, j'envoie la main à tout les chauffeurs de la cie C.A.T. et bien entwendu je continue à lire vos récits.

Denis