19 mars 2006

De la course à relais, nous passons à la nage synchronisée

Nous voilà repartis de plus belle. Sylvio, notre répartiteur, nous demande si nous voulons rapporter un camion à son terminal de la Caroline du Nord. Nous sommes toujours prêts pour de nouvelles aventures. Cela implique que nous nous séparions, mais en parfaite synchronisation, parce qu’un camion vierge, c’est comme une cuisine sans chaudrons. Nous n’avons pas les outils en double, alors nous devons nous soutenir mutuellement. On nous assigne des voyages identiques pour que nous puissions nous suivre et bénéficier tous les deux du confort de notre chalet roulant bien aménagé.

C’est moi qui prendrai le nouveau camion. On me remet les clés non sans m’aviser qu’il en est à son 3e faux départ pour cause mécanique. Dans le stationnement, je repère le vilain canard bleu. Une puissante odeur de vieux me vient quand j’ouvre la porte. C’est pourtant un millésime 2002 avec seulement 275 000 miles au compteur, soit le quart de sa vie. Mais son chauffeur était un vilain fumeur.

Je fais le tour avec mon marteau, je constate déjà une crevaison. Le garage du terminal est ouvert et j’y roule tout de suite pour ne pas perdre une minute. Le rideau de fer se lève et un théâtre s’anime. Les joyeux docteurs en combinaison bleue sifflotent en tripotant de leurs mains noires leurs patients inertes.

On prodigue des soins, on fait des mises au point. Trrrr ! Trrrrr ! Par ici un coup fusil à compression, par là on apporte des améliorations. Pshhhhhhhh ! Un docteur à lunettes gonfle un pneu, un autre les change pour mieux. En voici un qui vérifie des fils, en voilà un autre qui rempli un moteur d’huile. Par là on inspecte pour la prévention, à l’urgence je transporte mon camion.

Dans une baie de soins, je place le nouveau patient. Pas de fausse pudeur, on le traitera à côté de ses cochambreurs. Déjà, cinq corps inconscients y sont. J’explique mon problème au chef Docteur, qui tout de suite assigne un mécanicien au nouveau patient.

Tandis qu’un chanteur qui siffle est perché sur mon moteur, je m’efforce d’étudier mon nouvel intérieur. Je n’ai jamais conduit ce modèle de camion très longtemps. Tout y est nouveau pour moi. Son logo sur la porte est le seul point commun avec celui que je conduis habituellement. L’ergonomie du siège est différente, mais mieux adaptée à ma petite taille. Au milieu se trouve un proéminent bras de vitesse que je devrai manœuvrer au moyen d’un double débrayage pendant plusieurs milliers de kilomètres. Je devrai tout réapprendre, parce que depuis 4 ans, je conduis un camion automatique. Je cherche à quoi servent tous les boutons. Comme une enfant, j’appuie sur chacun pour voir ce que ça fait. Je ne comprends pas les petits pictogrammes censés me faciliter la compréhension. Je trouve enfin ceux qui me seront utiles : phares, frein moteur, chauffage, radio, suspension, chauffe-rétroviseur, essuie-glaces et lave-glace. Je m’exerce les yeux fermés pour très vite les repérer.

Je découvre d’autres anomalies sur mon canard boiteux et Ghislain son docteur les répare en moins de deux : le lave-glace peut à nouveau gicler ; l’extincteur de feu est bien arrimé ; la roue, changée ; les permis sur le pare-choc appliqués.

À reculons, je quitte l’hôpital et son ambiance, les docteurs me saluent en s’essuyant les mains noires sur des torchons gris et m’interdisent de ramener ce patient de malheur en riant. La porte de fer se referme sur le théâtre joyeux du garage.

J’embraye d’avant pour me rendre chez mon client. Richard est déjà parti chez le sien et plus tard nous nous rejoindrons.

À suivre…
Dans le prochain épisode : L’amer à boire

9 commentaires:

Anonyme a dit...

Je me ronge d'impatience : suite au prochain épisode! Et avec un titre comme ça, c'est qu'il y aura des complications, sûrement? Des pannes? Des retours au garage? Des remorquages?

Veux saouâre!

Anonyme a dit...

est-tu entrain de faire compétition à "un homme mort" avec tes intrigues ? Lâche pas, bonne route en solo.

Anonyme a dit...

Avez-vous vu le titre? Quelle trouvaille! Tout simplement génial, ce titre! Au début, on ne sait vraiment pas ce que ça fait là, mais en lisant le texte, on comprend tout!... Quelle imagination dans cette ("p'tite") tête... pas enflée pantoute! Et quel texte vivant, palpitant!... Cette fois-ci, j'embarque dans le "vilain canard bleu", malgré tout!... All aboard!...

Jean de Sainte-Julie

Bike Drool a dit...

Very Cool!!! Montreal to Texas!!

www.bikedrool.com

Anonyme a dit...

Je viens tout juste de lire ta lettre dans la Presse de ce matin et par le fait même de découvrir ton blog. Félicitations on a l'impression de voyager avec vous deux sur les routes de l'Amérique. Bonne continuation.

Anonyme a dit...

Bonjour Sandra,

Ça vallait réellement la peine de t'attendre un peu: Tu nous reviens avec une chronique « mécano-médicale » d'une subtilité inouie. La fraîcheur de tes mots et de tes phrases se marie à un descriptif d'une précision incroyable: On a réellement l'impression d'accompagner « le vilain canard bleu » à l'urgence et de le voir se faire tripoter par une armée de «docs-mécanos» soucieux de remettre, au plus vite, sur pieds la pauvre bête blessée.

J'ai hâte de lire la suite!

À bientôt!

André.

Pierre-Léon Lalonde a dit...

Habituellement j'ai presque toujours le même taxi. Mais ça m'arrive aussi de temps en temps d'avoir à changer de véhicule à cause d'un problème mécanique ou que le chauffeur de jour s'est "perdu" ;-) Bien que l'auto reste toujours plus ou moins la même, on détecte rapidement les petites choses qui clochent... Ça prends parfois quelques heures avant de s'habituer à un nouvel environnement de travail. Parlant d'environnement j'aime bien le passage où tu parles des odeurs du chauffeur précédant.. Ça parfois, on ne s'y habitue pas ;-) J'aime beaucoup ton blogue. J'ai mis le lien sur Un taxi la Nuit. Au plaisir et bonne route...

Anonyme a dit...

Vivement la suite du petit canard bleu boiteux.

camionneuse a dit...

Choubine, j'espère que je ne t'ai pas déçu avec ma suite!

Jean, jean, pas trop de compliments de même, parce que comme ma tête va gonfler..!

Daniel B: Thank You Daniel, welcome abord! I often go trough St-Louis, a very charming city.

Merci Loulou, bienvenue abord.

Merci André, passager assidu. Toujours des mots bien choisi toi aussi pour flater dans le sens du poil!

Stef bienvenue à bord!

Pierre-Léon, oui, on fait un métier semblable. Pilote de taxi et pilote de camion même combat! Mais heureusement, nous gardons toujours le même camion, et personne ne le prend quand on ne roule pas. Je te souhaite d'avoir des collègues qui ne "puuz" pas!

Mijo, merci pour tes recettes que je lis sur la route, à faire saliver.