08 février 2006

Les athlètes de l’autoroute.

Mardi, 13 h.

Le pistolet de départ a résonné. La course à relai a débuté. Non pas pour Turin mais pour Terrell au Texas.

Destination : Terrell au Texas.
Marathon de 1750 miles (2800km).
Vitesse maximale : 104 km/h
Temps à réaliser : moins de 32 heures.
Temps restant : 40 heures.


Sans plus tarder, nous embrayons et nous nous élançons sur l’autoroute comme des marathoniens. Les chevaux du moteur ruent et hennissent. Nous avons un rendez-vous au fil d’arrivée. À cinq heures, jeudi matin, nous devrons faire notre entrée au stade : on nous attend au centre de distribution. Les nuits seront courtes, le mur de la fatigue devra être surmonté.

Au départ, un obstacle nous retarde : Sylvio, notre répartiteur m’apprend que j’ai gagné à l’urino-loto. Je dois aller uriner illico pour poursuivre ma course.

Cela fait partie du jeu : les autorités américaines choisissent au hasard environ vingt pour cent de chauffeurs dans chacune des compagnies qui vont aux États-Unis. La « chance » s’est acharnée sur moi : cinq fois, j’ai été pigée en 6 ans ! Le test d’urine est d’ailleurs une qualification préalable d’embauche.

À mon départ du terminal, je dois me présenter dans un laboratoire pour uriner gaiement. Cette fois, c’est dans une station de service pour camion de Cornwall en Ontario, qu’on prendra mon échantillon. À la caisse, je me présente et on m’envoie la préposée à la collecte. Elle me reconnaît parce que nous avons déjà discuté devant un petit pot de liquide jaune. Ensemble, nous nous dirigeons vers une chambre d’hôtel transformée spécialement pour la collecte d’échantillons d’urine de chauffeur transfrontalier.

Elle remplit les papiers avec mon identité et coche les tests requis. Cette fois, un test d’alcool n’a pas été demandé par les autorités, mais sa petite machine est tellement précise qu’elle décèlerait même l’alcool d’une bouche fraîchement rincée au Scope. Elle me demande mon permis de conduire pour la forme. Elle me présente une boîte numérotée et me fait authentifier les numéros qui scelleront les échantillons. Dans la boîte, il y a 3 petits pots, elle me remet le plus gros sur lequel il y a un thermomètre. Mon urine doit être à la température du corps humain, sinon l’échantillon sera rejeté.

Dans la toilette d’une ancienne chambre d’hôtel, je dois m’exécuter. Les règles sont strictes. Les lumières de la salle de bain sont des tubes fluorescents qui dégagent moins de chaleur que le corps humain, pour éviter que les tricheurs ne fassent chauffer de l’urine empruntée. Le réservoir d’eau de la toilette est scellé pour éviter que quelqu’un ne cache je ne sais quoi ou ajoute de l’eau à son urine, les robinets du lavabo n’ont pas d’eau pour la même raison. Je ne peux même pas me laver les mains ni avant ni après.

En toute intimité dans la salle de toilette, la porte close, je m’exécute. Mon boulot terminé, j’ouvre la porte et je lui remets timidement mon pot tout chaud. Je me sens ridicule ! Son professionnalisme me rassure. Elle lit la température qui indique 37oC et l’inscrit sur le formulaire. Elle sépare ensuite l’échantillon en deux parties égales, bouche les pots et les scelle en ma présence au moyen d’étiquettes numérotées qui ont les mêmes chiffres que sur le formulaire dont elle me remet copie. Ces petits pots sont garants de mon avenir. Je les regarde partir pour Montréal où ils seront analysés dans un laboratoire indépendant. On y cherchera : cocaïne, THC, PCP, Opium et compagnie. S’ils s’avèrent positifs, je serai éliminée comme une vulgaire Ben Johnson ou une Geneviève Jeanson. Ma carrière est en jeu à chaque test.

Il n’est pas question pour un chauffeur transfrontalier de fumer, ne serait-ce qu’un bout de joint de marijuana, ni de se trouver en présence de fumeurs d’herbe invétérés, puisque même la fumée secondaire risque d’apparaître (parlez-en à Ross Rebagliati surfeur des neiges du Canada). Cette drogue dîte «douce» reste des traces pendant plus d’un mois même la fumée secondaire. Je n’ai jamais eu les résultats des analyses, ils sont envoyés directement aux autorités américaines qui les exigent pour que les chauffeurs canadiens puissent rouler dans leur pays. Je ne m’inquiète pas outre mesure de mon échantillon, je le sais vierge de toutes drogues sauf de caféine et en cas d’erreur, le deuxième échantillon pourra être revérifié (comme celui de Lance Armstrong). J’espère juste que les toxicologues ne feront pas d’erreur de manipulation. J’ai encore besoin d’un petit peu de chance…

Il n’y a plus de temps à perdre, le chronomètre égraine les minutes qui nous sont comptées. Le temps ne s’arrêtera pas avant notre arrivée. Il ne nous reste plus que quelques heures de jeu pour surmonter d’autres obstacles : le sommeil sera notre pire ennemi. Richard me passe le bâton témoin et je poursuis la route, la pédale au plancher soit 104 km/h. Les arrêts seront restreints au minimum, c’est le seul moyen d’y arriver.

Des athlètes de l’autoroute, je vous dis !

Je vous laisse, je dois me reposer pour reprendre le flambeau.

4 commentaires:

Anonyme a dit...

Bonjour Sandra

J'ai écouté ton entrevu à la Radio de Radio-Canada. J'ai vraiment trouvé bien! J'aime te lire aussi. Tu écris vraiment bien!

BOnne route!

camionneuse a dit...

Merci Annie!

Je te reconnais là!

C'est Mo qui m'a fait allumer...

Une amie de carré de sable ça ne s'oublie pas (surtout que j'avais tendance à t'en faire manger, je me repends aujourd'hui ;c) )

Sandra

Anonyme a dit...

Je suis bouche bée! Je comprends le pourquoi du quoi, mais je n'aurais jamais soupçonné que vous deviez vous soumettre à de tels tests avec tout ce cérémonial.

Bonne chance pour la médaille! ;-)

Grand Manitou a dit...

Hé oui, le fameux pipi-test!

J'y ai gouté 4 fois en dix ans. Dont une fois où j'ai l'impression d'avoir servi à disculpabiliser un Ben Johnson justement... dans mon ancienne vie, la compagnie n'était pas trop catholique, alors comme personne à la clinique n'avait eu vent que j'arrivait... j'ai trouvé ça louche!

Illégal au Canada, obligatoire pour aller aux États-Unis, ce test en fait ragé plusieurs... mais on n'a pas le choix si on veut rouler du côté américain. Et comme les américains sont les plus beaux, les plus fins et eux pissent le plus loin... on se plie comme des ti-moutons!

Ça donne une idée du pourquoi qu'on est porté à se sentir traité en criminel!

Jeff