Un jour, comme une bête de ferme dans son troupeau, je transhumais, léthargique, au milieu des autres automobilistes en me rendant au travail. Mon esprit s’est envoler au dessus de l’autoroute dans les émanations toxiques. À perte de vue, j’ai vu des zombies, endormis au gaz, roulant dans leur sarcophages de tôle. Comme un témoin de Jéhovah, j’ai crié " R É V E I L L E Z - V O U S ! ".
L’écho du chroniqueur de la circulation m’a ramené sur terre. Il répétait pour la énième fois, tel un mantra, son bulletin de la circulation. J’ai compris que je ne voulais plus perdre mon temps aussi futilement.
Depuis ce temps, je dors au bureau. Je rentre chez-nous tous les dix jours.
D’après mon évaluation, un travailleur passe huit heures par semaine dans ses déplacements pour se rendre au travail. Donc, en un mois, j’aurai sauvé plus de 24 heures, que j’utiliserai à des fins plus édifiantes qu’à tenir un poteau de métro graisseux, prise entre deux sacoches ou à angoisser rongeant mes ongles dans le trafic.
Mon bureau a une vue panoramique. J’y vois défiler les saisons au rythme de mon travail. Je m’y suis bien installée pour ne manquer de rien et me concentrer sur mon occupation professionnelle. J’ai un demi-lit confortable avec une couette de plume, chaude l’hiver et fraîche l’été, une petite télé, un mini réfrigérateur. J’y garde de quoi manger pour plusieurs jours. Je peux cuisiner avec mon four à micro-ondes, mon grille-pain, mon grilloir électrique ou ma bouilloire. Parfois, je sors au restaurant. À la maison je garde mes vêtements pour mes loisirs, au travail j’y laisse mes uniformes. Ma journée débute en général dès sept heures. J’enfile les vêtements laissés sur le fauteuil la veille et je me fais bouillir un œuf mollet que j’écrase sur du pain grillé tartiné de pesto et de tomates et me voilà déjà prête à gagner ma croûte. Je ne perds pas une minute à me coiffer ou à me maquiller. Je m’installe sur mon siège dès sept heures, pour bosser jusqu’à treize heures. L’après-midi, je m’accorde quatre ou cinq heures de répit. Je prends une douche et je lis ou je regarde la télé, étendue dans ma couchette ou assise sur le fauteuil d’appoint. Je reprends du service vers 18 heures jusqu’à 23h00 où je m’endors en lisant quelques minutes, épuisée par ce labeur. Je travaille en moyenne vingt jours par mois, mais je m’accorde plus de cinq semaines de vacances dans l’année.
Richard travaille pour la même firme que moi. Nous partageons le même espace de travail, le même bureau, les mêmes outils, mais nos horaires sont diamétralement opposés. Comme la machine roule presque sans arrêt, nous faisons une rotation deux fois par jour, lui veille au grain la nuit et l’après-midi pendant que je me repose.
Je suis camionneuse. Le camion, c’est mon bureau, les routes de l’Amérique, mon territoire. Je travaille avec 5 millions de collègues qui sillonnent ces couloirs le jour, comme la nuit. Ma vie de tous les jours n’a rien d’ordinaire. Quand je me lève, je suis toujours ailleurs. Je me réveille dans une autre ville, un autre climat, un autre pays, un autre paysage. Je suis rarement au même endroit le matin, le midi, ou le soir. Il fait cinq degrés sous zéro le jour, le lendemain à la même heure, il en fait 20. La neige couvre le sol un matin, les cactus s’étirent au soleil le jour suivant.
Comme dans une salle des machines, il y a toujours un grondement. C’est le bruit du moteur qui ronronne comme un chat en amour. Le moteur travaille sans cesse. Il fait vibrer toute la cabine. Quand le vent et la pluie viennent se mettre de la partie, ils changent la musique du cockpit. Ça siffle, et ça grésille sur l’habitacle.
J’ai un gentil voisin. Il ramasse le courrier et il prend soin de Bouboule notre chat. J’ai bien essayé de l’emmener, mais il a peur de son ombre. En voiture, il souffle comme un chien avec la langue sortie. La route ce n’est pas pour lui qu’il nous a jappé en pissant sur la banquette…
Nous sommes à l’arrière scène de la société de consommation. Les étapes de transformation, et la pollution qui vient avec, se passent sous nos yeux. C’est à faire damner un activiste de Greenpeace! (Dont je suis…)
8 commentaires:
Je suis tombé sur ton blogue par hasard.....
ai été pris pour tout lire..
moi qui ne lisais plus.
Tu m'as donné le goût de me chercher un bon roman,,,Merci
Ça fait chaud au coeur d'entendre ça! J'aimerais transmettre ce goût de la lecture à mon petit neveu! Tu m'encourages et c'est un peu pour ça que je me suis mise au blog. Écrire est un acte trop solitaire parfois.
Merci de ton commentaire! Et tu pourras suivre mes péripéties (qui sont toutes réelles) si ça t'intéresse. Je poste régulièrement des textes.
Au plaisir de te lire!
Bonjour à vous deux,
Je vous suggère 2 livres en format poche qui se déroulent sur la route: Volkswagen Blues de Jacques Poulin et Traîté du zen et de l'entretien des motocyclettes de R. M. Pirsing.
Bonne lecture
Bonjour
J'arrive ici en suivant un lien de France de VilainClavier.
Très beau premier billet. Si bien écrit.
Un bureau roulant avec vue panoramique. C'est très chouette comme définition.
Je vais poursuivre la lecture de ton carnet. Ce prologue m'a ouvert l'appétit !!
Bravo Sandra, c'est formidable, tu donnes le goût de rouler, rouler et toujours rouler. À bientôt
Lisette
meme si vous n'etes plus sur la route, j'ai le gout de lire toute votre aventure.
anny de québec
Je découvre votre blog au hasard de mes errances matinales et il m'enchante. Il étonne, il détonne, j'aime bien le concept qui l'anime. Une Camionneuse qui écrit, voilà bien un pied de nez aux mauvaises langues qui prennent les conducteurs pour des illétrés ! Je pars à votre suite.
Enfin, le voilà ton premier biller. Dire que j'étais en ligne mais je n'en savais rien de ton blogue.
Je vais donc lire l'ensemble de tes billets, par curiosité et intérêt.
Anne
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