Dimanche le 11 décembre 2005
Nous voilà repartis! En principe jusqu’à Noël. Il faut dire que nous sommes à Montréal depuis mardi, ce qui nous a laissé le temps d’en profiter. Vendredi matin, nous étions fins prêts à repartir, mais le travail tourne un peu au ralenti pour les équipes de chauffeurs comme nous. Ça nous a laissé un peu plus de temps pour compléter nos achats pour Noël, à notre retour, il sera peut-être trop tard.
Chaque départ est comme un déménagement dans notre résidence secondaire. Nous allons faire nos provisions au supermarché pour nous alimenter pendant environ une semaine. Mais nous devrons y retourner au moins une fois sur la route pour faire le plein de denrées périssables. Le camion est comme un chalet : mieux vaut avoir des équipements en double pour éviter de les transporter chaque fois. Ainsi, on y laisse toutes les denrées non périssables, et l’équipement pour cuisiner.
Au supermarché:
--Non! Sandra! Me dit de Richard comme à une enfant me voyant plonger la main dans les pamplemousses bien dodus. Je n’ai pas envie d’avoir un dossier criminel pour importation illégale de fruits illicites!
Dans son regard, j’ai compris ce qu’il pensait. Nous avions encore fraîchement en mémoire, pour l’avoir expérimentée, la loi américaine qui interdit l’importation d’agrumes ou tout autre fruits ou légumes qui n’a pas poussé au Canada ou aux États-Unis sous peine d’amende sévère et de dossier pour importation illégale… Je repense encore à la fois où je m’étais fait saisir une caissette de clémentines à peine entamée d’autant plus précieuses que c’était les premières de la saison. J’avais oublié deux fruits orange sous le pare-brise. Le douanier, sur le qui-vive, a dû y voir là des grenades potentielles : il a ordonné une fouille immédiate. J’avais dû m’habiller en vitesse, vu que j’étais en pyjama à cette heure avancée de la nuit et sortir du camion avec Richard. (Ce fut la dernière fois où je portai un pyjama pour traverser les douanes d’ailleurs ! ) Richard attendait derrière la remorque et je voyais le douanier s’impatienter dans le miroir pendant que j’attachais mes souliers. C’était quelques temps après le 11 septembre 2001. La tension était palpable. L’armée était venue prêter main-forte aux travailleurs frontaliers pour chercher Ben Laden dans un poids lourd… Ils étaient quatre gars armés pour notre cas. Pendant qu’un des deux bonshommes fouillait la remorque, l’autre nous a dit précisément où nous placer. Comme j’avais bougé de quelques centimètres, il m’a rappelée à l’ordre sur un ton ferme et même agressif. Il me pointa exactement l’endroit où il voulait que je me place et me prit par les deux biceps pour m’y placer. Erreur, on ne doit jamais toucher un suspect encore moins une suspecte. J’ai senti monter en moi un relent d’agressivité, que j’ai eu peine à contenir. Je me suis imaginé foutre une gifle bien sonore à ce jeune blanc-bec et cracher sur son uniforme tout neuf pour l’humilier devant ces congénères.
L’imagination, ça défoule!
Il appliquait ses techniques fraîchement apprises à l’école des gros cons, mais il aurait fallu qu’il y retourne pour des cours de savoir-vivre.Quant aux deux cadets de l’armée vêtus de camouflage, l’un est monté dans le camion pour le passer au peigne fin et y a découvert ma caissette de clémentines. Il l’a brandie fièrement à son superviseur telle une arme de destruction massive. Là, j’ai éclaté.
-Franchement, qu’est-ce que vous croyez que je fais avec les clémentines? Que je les importe pour les revendre? Figurez-vous que ça existe, un chauffeur qui mange des fruits. Saviez-vous que votre food and drug administration recommande d’en manger 10 par jours?
- Mam, it is illegal to import any citrus to United State.
- But I do not import them, I eat them (gros con ai-je pensé).
- Come on, this is my breakfast for the rest of the week!
- I’m sorry mam, but it is the law.(C’est ça fourre-toi-les ou je pense mes clémentines)
Je rageais tellement qu’un cinquième douanier qui semblait être le grand chef est venu me calmer. Le naïf cadet a dû sentir que la situation était ridicule, parce qu’il a laissé mes pamplemousses et mes oranges pourtant bien en évidence. J’ai compris que son petit sourire en était un de compassion. Après tout, on lui avait enseigné à chercher de la drogue des armes ou un terroriste, pas de malheureux fruits. Et puis ça ne fait pas tellement impressionnant devant les copains : hey les gars! J’ai trouvé des pamplemousse! En fin de compte, tout s’est terminé sans trop de bavures, dans ce pays de la liberté où un chauffeur transfrontalier ne peut même pas manger d’agrumes. Ne vous demandez pas pourquoi les chauffeurs sont souvent gros, diabétiques et cardiaques…
Pendant que mon compagnon de vie regardait les fesses d’une cliente humant des fraises, j’ai glissé deux fruits interdits bien roses et bien dodus sous le sac de salade prête à manger... Je prends le risque. J’en ai assez comme ça, des restrictions, confinée dans mon camion!
Richard : 573 km
Sandra : 487 km
Total : 1060 km
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